Intitulé "Bien vieillir chez soi : une prise en charge qui reposera chaque jour davantage sur les communes", le forum organisé le 22 novembre 2023 dans le cadre du 105e Congrès des maires aura finalement mis davantage l’accent sur la problématique des Ehpad. "85% aujourd’hui des Ehpad publics sont en déficit et ce sont les collectivités qui viennent à la rescousse pour abonder les budgets", selon Luc Carvounas, président de l’Unccas, en référence à une enquête de la Fédération hospitalière de France (FHF) publiée en janvier 2023. "Les Ehpad ont des soucis pour recruter, d’où un recours à l’intérim de plus en plus important. Qui dit intérim dit des coûts de plus en plus forts et donc des déficits", a ajouté Marylène Millet, maire de Saint-Genis-Laval (69), qui présidait le forum aux côtés de Luc Carvounas.

Maires et présidents d’Ehpad : "Nous n’en pouvons plus"

"Dans les commissions départementales qui sont installées à la demande du gouvernement pour attribuer des aides d’urgence aux Ehpad [dans le cadre des 100 millions d’euros attribués par le gouvernement, ndlr], ces Ehpad qui sont renfloués par les collectivités ne sont pas forcément identifiés comme ‘en difficulté’", ajoute le maire d’Alfortville (Val-de-Marne), qui alerte sur le nombre croissant de familles qui ne parviennent pas à verser leur mensualité. Un élu dans la salle confirme cette politique, déplorant n’avoir droit à rien pour son "tout petit Ehpad" du fait du déficit qu’il présente. Il assure également se voir refuser, par l’agence régionale de santé (ARS), un regroupement de son Ehpad avec des Ehpad hospitaliers du territoire, au motif que l’opération coûterait trop cher.

En début de forum, sous les applaudissements, Guy Pennec, maire de Plourin-lès-Morlaix (Finistère), avait remis à la ministre des Solidarités les délibérations prises par les conseils municipaux des maires et présidents d’Ehpad bretons du collectif des "Ehpad publics en résistance", renommé récemment "Territoires du grand âge en résistance". Contraint de porter un plan de redressement pour son Ehpad, ce maire refuse, comme ses collègues, de "restreindre le niveau de qualité des prestations" offertes aux résidents et "recrée des postes" actuellement, après en avoir supprimé. "L’insuffisance de financements de l’État, des départements, nous conduit à augmenter indéfiniment le reste à charge des résidents. Or, particulièrement dans la ruralité, les générations qui arrivent ne pourront pas assumer ces restes à charge", insiste le maire breton. Avant d’alerter la ministre sur "la révolte [qui] va gronder pour de bon, parce que nous n’en pouvons plus de rester dans cette situation".

Ehpad : distinguer les "déficits conjoncturels" et les inadaptations "structurelles"

"Nos politiques publiques autour de l’accompagnement de nos aînés sont insuffisantes, à domicile et en établissement", confirme Jean-Pierre Riso, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et de services pour personnes âgées (Fnadepa). La Fnadepa a porté en octobre dernier avec des maires la mobilisation "Les vieux méritent mieux", alors qu’une enquête de septembre 2023 indiquait que 93% des Ehpad du réseau étaient en déficit (en moyenne, de 100.000 euros) et que 78% manquaient de personnel (quatre ETP en moyenne). "Les mesures d’urgence sont nécessaires" mais elles ne concerneront qu’"une petite quantité d’établissements, pour une durée qui sera trop courte" et "ne règleront pas la situation de ces 93% d’établissements".  

"J’entends les inquiétudes aujourd’hui des maires", leur a répondu Aurore Bergé, appelant à distinguer les Ehpad "qui sont en déficit conjoncturel", du fait de l’inflation et de la hausse du coût du personnel, de "ceux qui structurellement ne correspondent plus aux attentes, à la demande du bassin de vie et qui là doivent être repensés", notamment à travers des regroupements et des mutualisations. "Ce n’est pas parce qu’on est petit qu’on gère mal un Ehpad", rétorque Marylène Millet, rappelant que l’Association des maires de France défend le maintien de petits Ehpad dans une logique de proximité. "Il y a plusieurs modèles", indique Aurore Bergé, expliquant que ce n’est pas forcément la taille qui est en jeu et que les évolutions peuvent concerner aussi le type de public accueilli – Ehpad ayant vocation à devenir plus médicalisé ou à se transformer en une résidence autonomie par exemple.    

Élisabeth Borne : adopter la loi de programmation "au second semestre 2024"

"La base commune" concernant les Ehpad et l’accompagnement à domicile, ce sont "les professionnels", comment maintenir ceux qui sont en poste et comment recruter davantage, affirme la ministre des Solidarités. Aurore Bergé mentionne le protocole d’accord avec trois fédérations d’employeurs des Ehpad qui doit, selon elle, permettre d’atteindre les 50.000 recrutements promis par le chef de l’État (voir notre article).

Des "fondations solides" vont pouvoir être posées en 2024 dans le cadre de la loi de programmation pour le grand âge, signale-t-elle surtout. "Cette loi de programmation, nous la ferons", a confirmé la Première ministre ce même 22 novembre 2023 à l’Assemblée nationale, en réponse à une question de Charlotte Parmentier-Lecocq (Renaissance, Nord). "Je souhaite qu’un texte puisse être présenté d’ici l’été pour un examen et une adoption au second semestre 2024", a-t-elle précisé. Saluant les "avancées importantes" qui sont actuellement en cours d’adoption dans le cadre de la proposition de loi sur le bien vieillir, Élisabeth Borne a estimé que, "face au défi démographique devant nous", il était nécessaire d’"aller encore plus loin". La loi de programmation servira selon elle à "répondre à quatre grandes questions : quels sont nos besoins ? Comment les financer ? Comment disposer des compétences et des personnels nécessaires ? Comment améliorer la gouvernance sur ce sujet majeur ?"

"Coconstruire" la trajectoire sur le financement, le recrutement et la gouvernance

Il s’agit de se "doter ensemble d’une vision partagée des besoins, des financements et des responsabilités", résume la Première ministre. Et cette dernière charge Aurore Bergé "d’engager des concertations avec les parlementaires de tous les groupes, avec les conseils départementaux et avec les professionnels du secteur". La ministre promet "un projet coconstruit", avec des auditions et des déplacements menés avec les groupes parlementaires et "l’ensemble des associations d’élus, dont évidemment l’ADF [Départements de France], l’AMF, l’AMRF [Association des maires ruraux de France]".

La "trajectoire" à définir concerne le financement, le recrutement, mais également la gouvernance, détaille la ministre des Solidarités devant les maires. "Est-ce qu’on doit impliquer différemment d’autres strates de collectivités locales ?", interroge-t-elle. "Ça ne se fera pas sans les départements, parce que c’est une compétence partagée", assure néanmoins Aurore Bergé, rappelant l’engagement pris devant les départements d’une prise en charge par l’État de 50% de "toutes les nouvelles dépenses".

"Les 10 milliards sont déjà sur la table", affirme la ministre, interrogée sur ce point. Elle rappelle ainsi qu’une augmentation de 30% des moyens de la branche Autonomie de la Sécurité sociale est prévue entre 2022 et 2027. "Le sujet, c’est quelle est la trajectoire, comment vous les répartissez et quels sont les modèles", ajoute-t-elle. Aurore Bergé se dit "déterminée" à "réussir à réinventer nos modèles et à le faire là, parce que si on loupe l’opportunité qui est la nôtre dans l’année qui vient, alors on risque de ne plus avoir le temps ensuite". 

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