Sur les élections de dimanche, le préfet qui dit lui-même être "dans ce monde métapolitique depuis longtemps" a son propre diagnostic : 35-40% de participation. "C’est la première fois qu’on fait campagne dans du coton", a entendu Pierre Monzani, directeur général de l’Assemblée des départements de France (ADF), parmi les candidats aux élections départementales. Cette "impression cotonneuse" rejoint selon lui le constat d’une "défiance globale" qui imprègne désormais "les profondeurs du corps électoral", y compris "des gens très inclusifs dans le monde qui est le nôtre". Pierre Monzani répondait jeudi 17 juin 2021 aux questions du député Pacôme Rupin (LREM, Paris), co-rapporteur d’un groupe de travail de la commission des Lois sur les modalités d’organisation de la vie démocratique (voir notre article sur l’audition de Philippe Laurent, secrétaire général de l’AMF).

De son point de vue, cette défiance est aussi "le signe d’une perte de sens de l’autorité". Comme les professeurs ont vu à un moment donné disparaître l’estrade qui leur donnait une "position surplombante" par rapport à leur classe, les élus se sont petit à petit retrouvés dans un rapport horizontal avec les citoyens, a observé Pierre Monzani, déplorant une "montée des démagogies consistant à désacraliser". "Lorsque le professeur n’est pas respecté, qu’on ne lui donne pas les moyens du respect, il finit par être non écouté dans un premier temps, chahuté, puis insulté, molesté…", a poursuivi Pierre Monzani. Cette impression "domine" désormais aussi chez les élus "qui se sentaient jusque-là préservés", du fait peut-être du "métier de chien" qu’il exerce – ce qui est, pour le préfet, "un compliment" – et des "sacrifices personnels" consentis. Il souligne toutefois que les conseillers départementaux sont "encore un peu préservés", puisqu’ils n’exercent par leur mandat dans la même proximité – et la même visibilité – que les conseillers municipaux et les députés. Dans un sondage récent de l’ADF, plus des trois quarts des élus départementaux se disaient heureux du mandat exercé et souhaitaient prolonger l’expérience.    

"Les Français attendent du monde politique de la clarté et pas de la transparence"

Pour le directeur général de l’ADF, la baisse de la participation aux élections renvoie ainsi à un "problème profond, culturel, philosophique", à "une crise de civilisation". Et, face à cela, les mesures déployées aussi bien à l’échelle nationale qu’au niveau local "consistent à traiter une maladie lourde par des méthodes de médecins généralistes". L’association des jeunes aux politiques départementales ou encore les budgets citoyens qui se multiplient suite à la première expérience du Gers (voir notre article de mars 2019 ) sont de son point de vue intéressants, mais pas suffisants pour "régler le problème de fond qui, hélas, nous dépasse". 

"Plus nous avons mis en place collectivement des process de non cumul des mandats, de transparence, et moins nous avons fait reculer la défiance publique", met également en avant Pierre Monzani, appelant à mener "une réflexion sur la notion de transparence". "Plus il y a de transparence, moins il y a de la clarté : je pense que les Français attendent du monde politique de la clarté et pas de la transparence", a-t-il souligné. Si les efforts déployés aujourd’hui pour "aller vers le citoyen" sont nécessaires, il importe également pour lui de "remettre de la verticalité", de "resacraliser" le personnel politique. Les deux sont-ils compatibles ? C’est pour le préfet une "dialectique" à tenir : l’élu "doit être capable de descendre de l’estrade" mais il doit pouvoir aussi "disposer d’une estrade pour de temps en temps être en position de ‘majesté’". Actuellement, "on ne joue que sur un des deux termes", dans une sorte de "course à l’échalote de la transparence" ne permettant pas de résoudre ce problème de la défiance, a continué à imager le préfet.   

Interrogé par Pacôme Rupin sur le rôle de la communication continue, du "commentaire qui nous [le personnel politique, ndlr] pousse à être dans la petite polémique du jour", Pierre Monzani a répondu que les présidents de département étaient "moins dans ce monde" – aucun d’entre eux n’est d’ailleurs candidat à l’élection présidentielle, a-t-il souri – et que leurs "tweets très sérieux" n’étaient pas les plus "irritants" et n’étaient d’ailleurs en général pas repris par les chaînes de télévision. Ce manque de visibilité provoque de fait un "entre-soi" qui "exclut", a-t-il évoqué.

Décentraliser plus "franchement et nettement" pour sortir de la confusion

Le directeur de l’ADF a surtout déploré "l’ignorance" des citoyens sur la répartition des compétences entre les collectivités. Une clarification s’impose de son point de vue et, sans surprise, il plaide pour aller vers une décentralisation plus "franche et nette". Le manque de responsabilité claire sur certains domaines de compétence – il a pris l’exemple de la protection de l’enfance, avec le projet de loi déposé la veille par le gouvernement (voir notre article) –, entre l’État et les collectivités, est source de "confusion" pour le citoyen. Pierre Monzani estime que le "comité de cogestion de la France" voulu par les régions "ne règlera pas le problème" et pourrait même "l’amplifier". Il appelle à une remise à plat : "quelles sont les compétences que l’État assume et bien ?" Et donne l’exemple de la médecine scolaire que les départements souhaitent récupérer depuis des années, pour améliorer le service et créer une sorte de "continuum" avec la protection maternelle et infantile.

Sur l’organisation des élections, Pierre Monzani est partisan d’une "grande journée civique" au cours de laquelle "on élit tout ce qui n’est pas président de la République" – élus locaux et députés. Il considère par ailleurs que "l’illisibilité de la carte électorale" est un "facteur aggravant", appelant plus globalement à la tenue d’"une grande réflexion sur l’aménagement du territoire". Le haut fonctionnaire souligne toutefois que la réforme de 2013 du mode de scrutin départemental – ayant entraîné la division par deux du nombre de cantons – a eu aussi du bon, avec la constitution de binômes mixtes qui ont bien fonctionné pendant le dernier mandat et qui ont changé la physionomie des assemblées départementales.

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