Si c'est possible en terre basque, cela doit être possible partout en France. La dissociation du bâti et du foncier est l'un des concepts les plus prometteurs pour réduire le coût de la construction de logement. Le principe : un ménage est propriétaire de sa maison, mais est locataire de son terrain. Il loue le terrain via un bail réel solidaire (BRS) auprès d'un organisme foncier solidaire (OFS) qui peut être un organisme HLM, une association et peut-être bientôt une fondation. L'intérêt : l'achat du logement revient moins cher, sachant que le prix du foncier représente entre 15 et 30% de la valeur d'un bien immobilier. Ce qui ouvre des perspectives à des familles modestes qui avaient renoncé à devenir propriétaires.
Une "Matinale" sur la question, organisée le 2 février, à la Caisse des Dépôts, par la Fédération nationale des agences d'urbanisme (Fnau), l'Assemblée des communautés de France (AdCF) et le cabinet Espacité, a fait le point sur la question.
La loi Alur puis la loi Macron ont créé et consolidé le dispositif, sous l'impulsion d'Audrey Linkenheld, députée, rapporteure de la loi Alur, maire-adjointe de Lille en charge du logement. Selon l'élue du Nord, des ajustements sont encore à prévoir, notamment au vu des expérimentations en cours.
L'idée fait son chemin dans les mentalités. En Pays basque, on n'est sans doute pas prêt à construire son "etche" ailleurs que sur une terre qui nous appartient, mais un appartement à Biarritz pourquoi pas (il suffit pour le propriétaire de considérer le BRS comme une charge supplémentaire de l'ordre d'une centaine d'euros par mois).
Un projet commun entre la ville de Biarritz et le Comité ouvrier du logement
Dans cette ville "SRU", où les appartements s'arrachent à 6.000 euros du mètre carré, une opération de 40 logements est dans les tuyaux, qui proposera des prix 30% en dessous du marché. Le projet est envisagé en partenariat entre la ville et le Comité ouvrier du logement (COL), une société coopérative de production d'HLM locale qui pourrait adopter le statut "OFS". Le COL sait faire, depuis de longues années, de l'accession sociale à la propriété. Mais, comme à Lille et Rennes, il bute sur le même problème : les clauses anti-spéculatives ne sont pas efficaces.
Ainsi à Guéthary, ancien port baleinier aujourd'hui station balnéaire "people" de la côte basque, "le maire a le sentiment de subir une double peine", rapporte Imed Robbana, directeur général du COL. Les ménages qui, parce qu'ils étaient sous condition de ressources, ont bénéficié d'aides à l'accession sociale à la propriété ont revendu leur bien "10 ans et 3 mois après" - c'est-à-dire une fois que la clause anti-spéculative arrivait à son terme - au prix du marché, qui plus est à des "étrangers" au pays qui les utilisent en résidences secondaires. La tentation de faire une jolie culbute financière, quitte à s'éloigner de la côte, était sans doute trop forte. On comprend que la ville et la coopérative HLM, elles, se sentent "roulées".
Pour éviter que l'argent public ne "tombe dans un puits sans fond" (selon l'expression d'Audrey Linkenheld), pour maîtriser sur le long terme une politique de peuplement, pour conserver les logements aidés dans le parc social (important pour les villes SRU)... les politiques volontaristes en faveur de l'accession à la propriété "abordable" avaient besoin d'un outil de régulation quasi-pérenne. Un outil qui permette le "logement perpétuellement abordable", selon la formule d'Anne-Katrin Le Doeuff, directrice générale délégué d'Espacité, le cabinet conseil en politiques territoriales de l’habitat en pointe sur le sujet (voir en bas d'article le titre "Fontionnement des opérations en bail réel solidaire).
Les trois "détournements" du BRS par Rennes Métropole
Rennes Métropole mène déjà, depuis 2006, une politique en faveur de l'accession sociale à la propriété permettant aux ménages à faibles ressources (autour de 2.400 euros par mois) de devenir propriétaires, même dans les zones les plus tendues de l'agglomération. Grâce à des réserves foncières constituées depuis des décennies, réduire au maximum le coût du foncier dans la construction de ces logements n'était pas la question. Si la communauté urbaine a choisi de se lancer dans des opérations en BRS, c'est pour éviter ce que Nathalie Demeslay, responsable du service habitat à Rennes Métropole, appelle "l'appropriation de l'effort public par un particulier". En d'autres termes, l'intercommunalité voulait "assurer dans la durée ses orientations programmatiques dans le cadre de sa politique de peuplement".
"On a expérimenté toutes les clauses anti-spéculation possibles", rapporte Nathalie Demeslay, et, quoi qu'il arrive "toutes les programmations pensées pour organiser la mixité sociale sont 'one shot'". Au bout de 10 ans, les clauses s'éteignent. Dès lors, "des ensembles immobiliers peuvent, dans la durée, s'apprécier ou se déprécier, et remettre en cause les objectifs de mixité du projet d'aménagement".
Toujours dans une optique de mixité sociale, Rennes Métropole prévoit d'utiliser le BRS dans les hautes tours du quartier Anru de Maurepas. Il s'agirait de transformer quelques plateaux en proposant à l'accession des appartements à 1.650 euros/ m2 + une redevance (le BRS). Originalité de la démarche : l'organisme HLM rétrocéderait le foncier à un OFS, vendrait les logements à des ménages et offrirait une égale gestion des parties communes de l'ensemble immobilier quel que soit le statut de ses habitants (propriétaires "BRS" et locataires HLM). Outre une opération audacieuse de diversification de l'habitat existant, le risque d'entrer dans une situation de copropriétés dégradées est écarté. Rennes Métropole entend également utiliser le BRS dans du parc privé ancien plus classique. Sa préférence va pour un OFS souple de statut associatif.
Deux opérations en hyper-centre de Lille
Lille s'oriente quant à elle, à terme, vers le statut de fondation. Deux opérations sont prêtes à partir dont deux en hyper-centre où les familles modestes peinent à devenir propriétaires. Dans les bâtiments de l'ancienne faculté de pharmacie (notre illustration), une opération mixte accueillera un hôtel, un équipement culturel et 220 logements dont 105 libres, 48 logements sociaux (PLUS et PLAI), 54 en ULS (usufruit locatif social)... et 13 en accession abordable à la propriété sous le mode "BRS". Le permis de construire est déjà délivré.
L'autre projet est également bien engagé. Il s'agit de la reconversion de l'ex-bourse du travail. Le permis de construire devrait être délivré au 2e semestre 2017. Le programme prévoit 90 logements environ, dont 50% de locatif social (PLUS et PLAI) et 20% d'accession abordable "BRS".
Pour ces deux types d'opération, Lille table sur une acquisition à 65% environ des prix du marché (2.000 euros/m2 contre 3.000 aujourd'hui pour un T3 de 85 m2), avec une redevance de 1 euro/m2/mois (soit 85 euros pour un appartement de 85 m2). "Le niveau de redevance s'adaptera selon les produits", précise Audrey Linkenheld. Car, comme à Rennes, Lille compte bien pratiquer l'accession sociale "BRS" dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et les quartiers Anru avec, dès lors, une redevance de l'ordre de 80 centimes/m2.
La Métropole européenne de Lille rejoindrait la gouvernance de l'OFS en juin. Le dispositif pourrait alors s'appliquer dans les quartiers anciens dégradés de l'agglomération.
L'apport foncier (souvent venant de de la collectivité locale, mais pas uniquement) étant déterminant dans le montage financier, Lille lorgne sur toute une série de terrains qui pourraient alimenter la production de logements en OFS : les charges foncières dédiées à la production d'accession aidée en ZAC, les fonciers publics (MEL, ville, Etat, EPF) avec décote, mais aussi les fonciers privés issus de dons, les immeubles en recyclage, la vente de logements HLM...
Fonctionnement des opérations en bail réel solidaire (BRS)
Anne-Katrin Le Doeuff, directrice générale déléguée du cabinet conseil Espacité, a présenté le fonctionnement en 6 étapes des opérations en bail réel solidaire (BRS), lors de la "Matinale" organisée le 2 février, à la Caisse des Dépôts, par la Fnau, l'AdCF et son agence, sur le thème "Les organismes de foncier solidaire au service des politiques locales d'accession".
1- L'OFS fait l'acquisition d'un terrain pour le conserver dans la durée.
2- Sur le terrain de l’OFS, des programmes immobiliers résidentiels abordables sont développés pour les ménages à faibles revenus.
3- Les ménages achètent, sous condition de ressources, grâce au bail réel solidaire (BRS), la propriété bâtie de leur logement et l’OFS demeure propriétaire du foncier.
4- Les ménages payent un loyer foncier, qui vient s’ajouter aux charges d’entretiens et taxes locales.
5- Les ménages revendent leur propriété avec une plus-value limitée. La vente est agréée par l'OFS.
6- Le logement est disponible pour de nouveaux ménages à un prix abordable.
Ensuite, de nouveaux ménages achètent, sous condition de ressources, grâce au BRS, la propriété bâtie de leur logement et l’OFS demeure propriétaire du foncier etc...
ncG1vNJzZmivp6x7o63NqqyenJWowaa%2B0aKrqKGimsBvstFom56rXZi8rbjEnKuirpmpsrR5xLGnnqqZorKvwMSnq2aklWKvorXLZqmenZxiwLC4yJ2YoqqVYrK1ecueZJ2dpKTCs7rEp6tmoJGXtq2xzJ6lrQ%3D%3D