"Sur le plan environnemental, le premier temps de la mandature qui s'achève a été marqué par un moment fondateur avec le Grenelle de l'environnement. Mais cet élan s'est essouflé en 2010 et nous avons connu des déceptions à la hauteur de l'espoir suscité", a déclaré Benoît Hartmann, porte-parole de France nature environnement (FNE) ce 12 janvier. Première fédération française d'associations de protection de la nature et de l'environnement (3.000 associations, 850.000 adhérents), FNE a présenté le bilan environnemental du quinquennat qui s'achève et dévoilé les grandes lignes de son "Appel des 3.000 pour un contrat environnemental" dans la perspective des prochaines élections présidentielle et législatives. Pour FNE, la gouvernance à cinq qui avait permis de valider la feuille de route du Grenelle n'a plus fonctionné lorsque l'on est passé à la mise en oeuvre des engagements et les lobbies ont retrouvé toute leur influence en obtenant des concessions.

Reculs et coups de rabot

Dans le domaine de l'énergie, le Grenelle a permis la création ou le renforcement de mesures comme les bilans carbone des entreprises et les plans climat-énergie territoriaux. "Mais l'objectif de 21% d'électricité d'origine renouvelable en 2010 n'a pas été atteint puisque nous sommes à 14,6%", a pointé Benoît Hartmann. En matière de biodiversité, FNE voit dans la trame verte et bleue une "avancée majeure" mais déplore sa non-opposabilité aux grandes infrastructures de transport. Dans ce domaine, justement, le schéma national des infrastructures de transport (Snit), fixant les grandes orientations pour les 20 à 30 ans à venir, avait vocation à encourager le report modal. Mais une fois de plus, FNE estime que les engagements d'origine n'ont pas été tenus vu les "cadeaux faits au secteur routier".
Dans la foulée du Grenelle, la table ronde sur les risques industriels initiée en 2009 avait permis d'acter dans la loi Grenelle 2, pour les riverains des sites Seveso, le principe d'un crédit d'impôt égal à 40% du montant des travaux à réaliser dans leurs logements pour assurer leur sécurité en cas d'accident. "Malheureusement, quelques mois plus tard, ce crédit d'impôt était raboté entraînant le désengagement des industriels et des collectivités, regrette FNE. Résultat : seuls 101 PPRT [plans de prévention des risques technologiques, NDLR] sont approuvés sur les 420 qui auraient dû l'être en 2008. Aucun n'est concrètement, à l'heure actuelle, mis en oeuvre faute de financements." FNE a rappelé aussi la raison pour laquelle elle a quitté la table ronde sur l'efficacité énergétique. "Sans moyens financiers priorisés sur la réhabilitation des logements anciens, nous n'atteindrons pas l'objectif fixé de 20% d'économies d'énergie entre 1990 et 2020."
FNE déplore aussi les "renoncements progressifs" en matière de fiscalité environnementale : la contribution climat-énergie a été abandonnée, la taxe kilométrique poids lourds, maintes fois reportée, ne devrait entrer en vigueur qu'en 2013, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), étendue à l'incinération grâce au Grenelle, n'a cessé depuis de subir des abattements et des exonérations, les lois de finances 2011 et 2012 ont réduit les aides fiscales à l'efficacité énergétique, les soutiens fiscaux à l'agriculture biologique ont aussi été progressivement réduits. Mais le secteur le plus touché, rappelle FNE, a été celui des énergies renouvelables avec la baisse, en décembre 2010, des tarifs de rachat de l'énergie solaire. Sur le plan européen, FNE déplore que la directive Sols soit restée en panne "à cause de la France". L'absence de transposition correcte de la directive Habitats instituée pour préserver la biodiversité à travers le réseau Natura 2000 lui a aussi valu une nouvelle condamnation par la Cour de justice l'Union européenne le 4 mars 2010. Enfin, pour clore ce bilan, FNE estime que l'on n'a pas bien tiré les leçons des catastrophes naturelles et industrielles récentes (sécheresses, tempêtes Klaus et Xynthia, inondations dans le Var, AZF et Fukushima pour le nucléaire). "Combien d'accidents encore avant d'accepter de passer d'une logique de réaction après coup, trop tard et trop chère, à une logique d'anticipation et d'adaptation aux conditions naturelles moins chère et autrement plus efficace ?", interroge FNE.

Pour un "réel dialogue environnemental"

Après ce bilan jugé décevant, la fédération compte maintenant interpeller les candidats aux élections présidentielle et législatives avec son "Appel des 3.000 pour un contrat environnemental" qui sera largement présenté au cours de son prochain congrès le 28 janvier prochain à Montreuil-sous-Bois. "La crise de la dette économique, le chômage, la crise sociale sont aggravés par la dette écologique que nous allons laisser à nos enfants, prévient FNE. Nous sommes de ce fait confrontés à un triple défi : écologique, économique et démocratique, qu'il nous faut relever, sous peine de conséquences sociales majeures. Alors que la crise est là, nous continuons à gaspiller nos ressources, nos territoires, notre biodiversité, notre agriculture. Stopper ces gaspillages permettra d'augmenter considérablement nos marges de manoeuvre et d'économiser des dizaines de milliards d'euros nécessaires aux investissements d'avenir". Le "contrat" proposé contient "deux mesures innovantes et trois chantiers prioritaires", selon Bruno Genty, président de FNE. "Nous voulons un réel dialogue environnemental pour que les lobbies aient la vie plus difficile", a-t-il souligné. Ce dialogue associerait syndicats, entreprises, élus, administration ainsi qu'une nouvelle composante de la société civile, les "délégués environnementaux". Pour FNE, les citoyens doivent bénéficier d'une meilleure information grâce à un enrichissement des démarches participatives et à un élargissement du champ d'action de la Commission nationale du débat public (CNDP).  La fédération propose en outre "une réforme du cadre législatif des Ceser (conseils sociaux, économiques et environnementaux régionaux) et des conseils de développement à l'image du Cese (Conseil économique, social et environnemental)", l'objectif étant de "permettre une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux en établissant une représentation systématique des associations de protection de la nature et de l'environnement".
FNE suggère également "une organisation adaptée pour l'Etat" : "Le président de la République qui sera élu en 2012 devra fixer une feuille de route de la transition écologique que son Premier ministre appliquera à l'ensemble de l'action du gouvernement. Dans ce cadre, le Premier ministre sera chargé d'impulser et de valider les orientations en faveur du développement soutenable, avec une présentation annuelle des résultats, au moment du vote du projet de loi de finances."

Investir sans creuser la dette

Autre proposition-phare : "la mise en place d'un système de protection environnementale à l'image du système paritaire de protection sociale", reposant sur "cinq éco-organismes" à créer (climat-énergie, biodiversité, risques industriels, matières premières, climat-biens manufacturés). Ils seraient "chargés de percevoir différentes écocontributions et d'en répartir le produit vers des investissements d'avenir permettant de lutter contre les menaces environnementales". Leur gouvernance serait assurée "de manière paritaire" par les cinq collèges du Grenelle de l'environnement : Etat, collectivités territoriales, associations de protection de l'environnement, syndicats de salariés et entreprises. Le montant des écocontributions, "déterminé par le volume d'investissements nécessaires", permettrait d'abonder le financement de "la transition écologique de l'économie". "Concrètement, il s'agira par exemple pour l'éco-organisme 'climat-énergie' de créer une écocontribution au kilowatt, a précisé Gaël Virlouvet, trésorier et pilote de la mission économie de FNE. L'éco-organisme 'risques-industriels' pourrait quant à lui redistribuer une écocontribution versée par les sites Seveso aux entreprises qui font évoluer leurs technologies dans le sens d'une réduction des risques."
FNE propose également d'"investir pour amplifier la transition écologique de l'économie sans creuser la dette". Il s'agirait d'"investissements ciblés et durables", "orientés prioritairement sur la rénovation des bâtiments, la production d'énergies renouvelables, les transports collectifs et 'doux', l'agriculture soutenable, la protection de la biodiversité et la sobriété dans la consommation des matières premières". Entre 30 et 50 milliards d'euros annuels d'investissements publics seraient mobilisés, chiffre l'association, ajoutant que "cet investissement public doit servir de levier pour mobiliser un investissement annuel national de 100 à 150 milliards d'euros sur une génération". "Le pari est donc de mobiliser des milliards d'euros annuels sans creuser la dette." Pour cela, "les principales pistes à suivre" sont "l'investissement par le système paritaire de protection environnementale à hauteur de 20 milliards d'euros à l'horizon 2017", "l'investissement grâce à l'instauration d'un système d'obligations publiques, si possible au niveau européen" et "l'investissement de l'Etat et des collectivités territoriales, permis par une augmentation du volume des taxes existantes reposant sur des assiettes environnementales et la suppression des niches fiscales nuisibles à l'environnement". Cette augmentation du volume des taxes "se traduira notamment par l'élargissement de l'assiette de la TGAP et la suppression progressive de ses abattements, la création d'une taxe dissuasive sur les activités très polluantes et une réforme de la fiscalité du patrimoine", précise l'association.

Trois chantiers prioritaires

Les trois chantiers prioritaires à engager concernent selon elle l'agriculture, la biodiversité et l'énergie.  Pour "cadrer l'évolution du modèle agricole", l'association prévoit trois mesures : "la conversion de 20% de la surface agricole en agriculture biologique d'ici 2020", la réduction de l'usage des pesticides de 50% d'ici 2018 (ce que prévoit déjà le plan Ecophyto2018) et l'orientation des aides de la politique agricole commune "vers une agriculture soutenable et liée au territoire". En complément, FNE avance d'autres dispositions  : interdiction de l'usage des OGM dans l'alimentation animale et de leur culture en plein champ, économie de 30% de l'eau consommée par l'agriculture, suppression de toute incitation fiscale aux agrocarburants, développement de circuits de proximité ou encore instauration de "ceintures nourricières" autour des villes. Concernant la biodiversité, l'association appelle à "atteindre zéro artificialisation nette du territoire en 2025", "en commençant par diminuer par deux le rythme d'artificialisation nette dès 2017". FNE propose en outre de "renforcer l'implication et les compétences des collectivités territoriales par la mise en place obligatoire de stratégies et de programmes d'action territoriaux pour la biodiversité (régionaux, intercommunaux...) reposant sur un diagnositic de la biodiveristé et des continuités écologiques". Elle réclame par ailleurs, "dans l'immédiat", l'abandon de "deux projets inutiles et absurdes", à savoir l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et la piste longue de l'aéroport de Mayotte.
Enfin, sur le volet énergétique, l'association propose d'amplifier la rénovation des bâtiments "avec l'appui de fonds d'efficacité énergétique", "permettant d'injecter 20 milliards d'euros par an sur dix ans". Elle suggère également de "réorganiser la mobilité des biens et des personnes en privilégiant les circuits de proximité, en favorisant le transport de marchandises par les voies navigables et ferroviaires existantes et en poursuivant le développement des transports doux" et de réduire "les éclairages inutiles et la pollution lumineuse". Par ailleurs, elle demande une diminution de "la production d'électricité d'origine nucléaire pour une sortie définitive de ce mode d'énergie entre 2030 et 2035". "Il s'agit donc d'arrêter toute construction (y compris les constructions en cours des EPR de Flamanville et de Penly) puis de fermer progressivement les centrales nucléaires, en commençant par les plus dangereuses en raison de leur ancienneté, de leur localisation ou de la répétition d'incidents (Fessenheim, Blye, Saint-Laurent-des-Eaux)". FNE se positionne en faveur d'une interdiction de "l'exploration et de l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels sur le territoire national" et d'une accélération "du développement harmonieux des énergies renouvelables".

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