Après une année 2019 particulièrement agitée pour la protection de l'enfance, la commission des lois et la commission des affaires sociales du Sénat publient un rapport d'information commun "Sur l'obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs". Pas moins de quatre sénatrices se sont penchées sur cette question. Leurs investigations ne se limitent pas au seul champ social, mais couvrent l'ensemble des professions soumises, à des degrés et sous des formes diverses, à un secret professionnel pouvant interférer avec l'obligation de signaler les cas ou les suspicions de maltraitance sur mineurs ou de de carences affectives ou éducatives.
Un imbroglio juridique
En tentant de dresser un état des lieux du secret professionnel, la mission s'est vite heurtée à la grande complexité de la question et au flou juridique qui l'entoure souvent : absence de liste énumérant les professions astreintes au secret, sources juridiques diverses (codes de déontologie, lois, jurisprudence...), règles variables selon les professions et les statuts...
Avec une constante toutefois : les obligations de signalement prévues par le code pénal ne s'appliquent pas aux professionnels tenus au secret. Ainsi, son article 434-3 – fixant les sanctions pour non-signalement de privations, mauvais traitements et agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur –, exclut expressément de son champ d'application les professionnels astreints au secret. Ces professionnels peuvent néanmoins effectuer un signalement – autrement dit passer outre le secret professionnel – dans le cadre d'une "option de conscience". L'article 226-14 du code pénal les autorise en effet à signaler les privations et les sévices infliges aux mineurs, même s'ils doivent pour cela révéler une information couverte par le secret. Et sans encourir de risque de sanction, sauf s'il apparaît ensuite qu'ils n'ont pas agi de bonne foi.
Enfin, il faut faire une distinction entre l'obligation de signalement et l'obligation, qui s'impose à tous les citoyens, d'intervenir en cas de danger grave et imminent pour l'enfant, ou pour "empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne" (article 223-6 du code pénal). Dans ce cas de figure, le secret professionnel ne peut pas être invoqué.
Deux autres éléments viennent encore compliquer le tout. D'une part, les professionnels ayant le statut de fonctionnaire (médecins hospitaliers ou de PMI) sont soumis à l'article 40 du code de procédure pénale, leur imposant de signaler au procureur les crimes et les délits dont ils ont connaissance. D'autre part, toutes les personnes mettant en œuvre la politique de protection de l'enfance doivent transmettre sans délai au président du conseil départemental les informations nécessaires à la mise en place des mesures de protection dont les mineurs peuvent bénéficier.
Obligation généralisée de signalement : le pour et le contre
Dans un tel contexte, le rapport s'interroge sur la pertinence d'instaurer une obligation de signalement qui s'imposerait à tous et simplifierait la situation. Le résultat est pour le moins mitigé. Côté positif, on peut anticiper qu'une telle mesure accroîtrait le nombre et la précocité des signalements et lèverait les doutes qui taraudent souvent les professionnels. Côté négatif, on peut craindre une perte de confiance de la part des publics en difficulté (argument souvent avancé par les travailleurs sociaux), la persistance du dilemme éthique qui se pose au professionnel lorsqu'il envisage un signalement, le risque de signalements précipités par crainte des sanctions...
Le rapport rappelle en effet – même si cela passe mal lorsque les médias rapportent des affaires dramatiques de maltraitance – que "le signalement doit résulter d'un processus rigoureux de détection et d'évaluation de la situation de l'enfant, qui peut impliquer de garder le silence pendant un moment".
Des mesures pour faciliter les signalements
Au final, le rapport du Sénat estime que "le cadre juridique actuel, qui autorise la préservation du secret professionnel dans certains cas complexes, permet aux professionnels d'agir de la façon la plus adaptée à la santé et à la sécurité du mineur" et n'appelle donc pas à sa modification. En revanche, il préconise certaines mesures pour faciliter les signalements des professionnels dans le cadre législatif en vigueur. Celles-ci consisteraient notamment à harmoniser la rédaction des codes de déontologie des professions de santé pour que le devoir d'alerte protège tous les mineurs jusqu'à l'âge de 18 ans et à approfondir les connaissances sur les procédures de signalement.
Autres mesures préconisées : un renforcement de la formation initiale et continue des professionnels de santé et des travailleurs sociaux sur la détection des situations de maltraitance et les procédures de signalement, une meilleure diffusion des bonnes pratiques, un développement des échanges pluridisciplinaires entre professionnels, ou encore un encouragement des professionnels à s'appuyer sur des médecins référents, experts en protection de l'enfance, en cas de doute sur une situation de maltraitance.
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