Plus d'un mois après la présentation de la réforme, un vaste chantier s'ouvre à nouveau pour les collectivités locales et les prestataires locaux qu'elles financent. Le 2 février, tout l'univers des services sociaux d'intérêt général (SSIG dans le jargon européen), s'est donné rendez-vous pour tenter d'apprivoiser les nouvelles règles adoptées par Bruxelles le 20 décembre, sous l'action du commissaire à la Concurrence Joaquín Almunia. Nécessairement techniques, les échanges noués autour de l'ensemble des secteurs concernés (fonctionnaires territoriaux, associations, petite enfance, handicap, formation…) ont volontiers pris l'allure d'une séance collective de conseil juridique à destination de 300 participants, partagés entre la perplexité et la méfiance.
Par manque d'information ou aversion au changement ? Sans doute un peu des deux. L'encadrement européen, dont une première version existait déjà depuis 2005 sans qu'elle ne soit vraiment respectée, amène les collectivités à repenser la notion de service public. Pour Bruxelles, financer une activité ne revient pas à faire "un chèque en blanc", relève Laurent Ghekiere, représentant de l'Union sociale pour l'habitat à Bruxelles.

"Pas vu, pas pris"

Un certain nombre d'exigences doivent être respectées afin que les aides publiques ne soient pas frappées d'illégalité et, par conséquent, remboursées. Au cœur du débat, le recours au "mandatement", un contrat valable pour les aides supérieures à 500.000 euros sur trois ans, dans lequel la collectivité spécifie le mode de calcul du soutien apporté à un prestataire et détaille les missions à réaliser. Celles-ci doivent absolument concourir à la réalisation d'un service public entendu au sens large. C'est pourquoi les redevances versées au secteur hippique ont été contestées par la Commission européenne au motif que l'élevage de chevaux et la formation des jockeys ne constituaient pas un service d'intérêt économique général…
Pour les associations, l'enjeu est de taille, car les conventions de subvention jusqu'ici utilisées en France excluent toute obligation de service public. Dès lors qu'une structure reçoit l'appui des pouvoirs publics en contrepartie d'un service rendu, la réglementation française impose la voie beaucoup plus formalisée des marchés publics. Un domaine sur lequel Bercy a la haute main. D'où les réticences des services de l'Etat à diffuser les nouvelles pratiques venues de Bruxelles, qui chamboulent le paysage français du financement des services d'intérêt général.

Effet boomerang

"Ni l'Etat, ni les collectivités locales n'ont envie de rentrer dans ces textes", constate Laurent Ghekiere, pour qui la logique du "pas vu, pas pris" fait peser un risque sur les prestataires de services publics si un concurrent vient à porter plainte pour non-respect du droit européen. Faute de s'approprier le cadre communautaire, les collectivités locales se cantonnent à la commande publique, qui représente pour elles un gage de sécurité juridique.
Résultat, une étude menée par le CNRS montre que le recours aux subventions par les conseils généraux a chuté de "7 points entre 2009 et 2010", relate Fanny Gérome, du réseau France Active. Une situation qui profite aux grosses associations, lesquelles "captent les marchés publics, contrairement aux plus petites structures, qui ne sont pas outillées".
L'effort à produire est aussi européen. Les règles seront observées seulement si elles sont le reflet d'une réalité de terrain. Or, la volonté de transparence se traduit par une ingénierie administrative jugée trop lourde au regard des sommes visées. Pour les services d'intérêt général, un régime complètement allégé est prévu en-deçà de 500.000 euros d'aides étalées sur trois ans (subventions, mise à disposition de locaux, avantages fiscaux…), au motif qu'elles ne risquent pas de provoquer de distorsion de concurrence ("aide de minimis"). Un plafond que beaucoup aimeraient voir relevé. "Une crèche proposant un accueil de 26 places fonctionne avec un budget annuel moyen de 320.000 euros", rapporte Cornélia Federkeil-Giroux, responsable des affaires européennes à la Mutualité française. A l'instar du Comité des régions, les opérateurs de services sociaux réclament un seuil de 800.000 euros par an.

Action a minima

Le pari sera très difficile à tenir car la Commission redoute l'effet boomerang de la Cour de justice européenne, qui ne retient aucun critère de montant lorsqu'elle évalue l'impact d'une aide publique sur un marché donné. "Quand on propose un règlement [sur les aides de minimis], on sait que l'on marche sur des œufs, estime Valérie Guigue-Koeppen, administratrice à la Commission. Plus le montant est élevé, plus le risque est grand que la Cour ne nous suive pas."
En attendant l'adoption, prévue en avril, de la réglementation sur les soutiens publics de faible montant, le collectif SSIG réclame la constitution d'un comité réunissant les services de l'Etat, les collectivités locales et les acteurs de terrain pour décliner l'utilisation du mandatement secteur par secteur et assurer le contrôle des surplus éventuels d'aide que Bruxelles voit d'un mauvais œil. En région, des formations devraient également être organisées pour que les textes européens ne restent pas lettre morte. La tâche est immense tant le volontarisme de l'Etat est faible dans le domaine. En 2005, après la publication du premier train de textes, le gouvernement avait par ailleurs attendu cinq ans avant de présenter une circulaire visant à faciliter l'usage du mandatement. Visiblement, cette action a minima n'a pas suffi.

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