Autoritaire, coûteux et injuste", "infaisable". "Une absurdité", "une méthode insupportable"... Les mots n'ont pas manqué, jeudi 11 janvier, pour qualifier le projet de l'exécutif sur le Grand Paris - ou plus exactement ce que l'on sait de ce projet. Car pour l'heure, rien n'est officiel. Seul un article du quotidien Le Monde est venu faire état, le 26 décembre, du principal scénario retenu par le préfet de région, celui-ci ayant été mandaté pour préparer un rapport sur le sujet. Des informations qui viennent confirmer et préciser les divers "bruits de couloir" qui circulaient depuis plusieurs mois.
Ceux qui s'exprimaient de concert jeudi : les sept présidents de départements franciliens. Avec, autour d'eux, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), le président du Sénat et une vice-présidente du conseil régional d'Ile-de-France venue s'exprimer au nom de Valérie Pécresse. Le Sénat et la région, deux soutiens importants bien-sûr. Leur combat commun : sauver ces départements. Et défendre l'idée d'une "région-métropole". Mobiliser au plus vite les élus, l'opinion publique, les agents concernés… sachant que l'échéance approche. Celle d'une "conférence territoriale" devant donner lieu à la présentation du projet de métropole du grand Paris, conférence annoncée pour "la première quinzaine de février" (la tenue de cette réunion exécutif-Etat-collectivités a toutefois été plusieurs annoncée puis reportée).
"Ce n'est pas le combat d'un syndicat", a d'emblée souligné le président de l'ADF, Dominique Bussereau, assurant du soutien de l'ensemble des présidents de départements français. "Ce n'est pas un combat de défense, de nostalgie, d'opposition", a de même affirmé Gérard Larcher.

"La paralysie de la région parisienne pendant dix ans !"

Ce que les élus ont retenu du scénario supposé : la suppression des trois départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne), le maintien de la Métropole du Grand Paris dans ses limites actuelles, l'exercice des compétences de ces trois départements par les onze établissements publics territoriaux (EPT). Sans oublier une possible deuxième étape, qui consisterait à supprimer également les quatre départements de la grande couronne (Yvelines, Seine-et-Marne, Val-d’Oise, Essonne), avec cette fois l'exercice des compétences départementales par des "districts" assis sur les actuels EPCI.
Selon les présidents de département, le suffrage universel direct serait prévu pour l'élection des assemblées de l'ensemble de ces établissements. "Les maires franciliens en seront-ils prévenus ?", s'interroge Stéphane Troussel, le président de la Seine-Saint-Denis. Pour la seule petite couronne, cela reviendrait à passer de 138 élus départementaux à 1.263 élus intercommunaux élus au suffrage direct, a complété Patrick Devedjian, pour qui le terme même de "district" évoque une ordonnance de 1959, laquelle avait confié l'autorité des districts aux préfets.
"En quoi le remplacement de trois départements par onze territoires, puis de sept départements par soixante intercommunalités, serait-il plus efficace que le système actuel ?" demande François Durovray, président de l'Essonne, qui imagine mal comment s'organiseraient par exemple "les pompiers, l'aide aux mineurs non accompagnés, l'aide sociale à l'enfance, le RSA...". "S'agira-t-il d'éclater les structures actuelles de l'aide sociale à l'enfance sur onze territoires ?", poursuit Christian Favier, président du Val-de-Marne, citant de même les services aux personnes handicapées et personnes âgées et voyant mal comment le bloc local aurait la capacité, comme c'est actuellement le cas dans son département, "construire un collège en six mois". Les départements de petite couronne, ce sont 20.000 agents qu'il faudrait alors transférer, rappelle-t-il. D'où "des années de désorganisation" à prévoir. "Ce serait la paralysie de la région parisienne pendant dix ans !", surenchérit Pierre Bédier, président des Yvelines, insistant sur la nécessité de "s'appuyer sur ce qui marche" et non sur "les deux niveaux supplémentaires" récemment créés – la métropole et les EPT – "qui ne marchent pas". "Aucune étude d'impact n'a été réalisée", assure en outre Christian Favier.

Une "métropole donut"

Les élus considèrent en outre que le projet ne pourra que "renforcer les disparités territoriales aujourd'hui atténuées grâce aux collectivités départementales". François Durovray parle même d'une "forme de ségrégation territoriale" qui ne ferait que "préserver les intérêts de Paris". Dans le schéma visé, la capitale resterait en effet intouchée et intouchable, à la fois ville, département et EPT. "Ce serait le Grand Paris sans Paris, avec une banlieue éclatée tout autour", décrit Stéphane Troussel. D'où l'image de "métropole donut".
L'autre grand grief est lié : le projet se tromperait d'échelle. "Pour moi, l'entité pertinente, c'est l'Ile-de-France. Si l'on veut construire une métropole de force mondiale, il n'y a pas d'autre périmètre qui vaille", résume Gérard Larcher, qui rappelle volontiers être lui-même à l'origine un élu "de la partie rurale des Yvelines". "On ne peut pas affaiblir la première région de France ! S'il s'agit d'avoir une métropole de portée internationale et de commencer par la réduire, alors je ne comprends pas", complète Jean-Jacques Barbaux, président de la Seine-et-Marne, département dont la superficie représente la moitié de la région. Marie-Carole Ciuntu, vice-présidente de la région, ne pouvait qu'acquiescer, évoquant "un risque de relégation des territoires" de la grande couronne et la nécessité d'une "région-métropole qui puisse continuer à s'appuyer sur les départements".

La Cour des comptes préconise une vaste remise à plat

L'organisation territoriale en Ile-de-France, "très morcelée", doit être réexaminée. C'est ce que tend à démontrer un référé de la Cour des Comptes publié – hasard de calendrier – jeudi 11 janvier, quelques heures après la conférence de presse des présidents de département. Ce référé de onze pages adressé à Edouard Philippe analyse "les faiblesses" de cette organisation "et ses conséquences en terme d'inégalités territoriales". Et formule sept recommandations.
Le document rappelle l'empilement : région, départements, communes, EPCI dont la Métropole... sans oublier 779 syndicats de toute nature. "Ce dispositif complexe est mal compris de la population. Il appelle à ce que le rôle et la place de chaque échelon soient réexaminés", indique la Cour, qui estime qu'il faut revoir les compétences respectives de la région et des départements, et la place de ces derniers au regard de la "montée en puissance" des intercommunalités. L'organisation de ces intercommunalités mériterait elle aussi d'être "rationalisée", écrit la Cour qui note que leur création "se traduit le plus souvent pas la mise en place d'une nouvelle administration sans mutualisation des moyens". Quant aux syndicats, ils "peuvent être supprimés, regroupés ou transformés sans préjudice pour les usagers".
Concernant la Métropole du Grand Paris, la Cour considère que ses compétences "relèvent essentiellement de la planification" et met en oeuvre un dispositif "peu lisible pour les administrés" et "peu économe en deniers publics". "En définitive, la mise en place de la métropole du Grand Paris a conduit à créer deux niveaux d’administration supplémentaires sans aucune réorganisation des échelons existants", peut-on lire.
Sachant que "le statut actuel des établissements publics territoriaux est en retrait par rapport aux intercommunalités qui préexistaient en petite couronne", la "coexistence de cet échelon intermédiaire entre la métropole et les communes avec celui du département mériterait d’être réexaminée".
In fine, la Cour présente notamment deux scénarios plutôt hétérodoxes. Le premier : "Créer, en s’inspirant du modèle du nouveau statut de la ville de Paris, trois nouvelles collectivités à statut particulier, disposant, sur le territoire de chaque département de la petite couronne, des compétences des communes, des établissements public territoriaux et du département, sous réserve des compétences transférées à la métropole du Grand Paris. Dans cette configuration, les communes existantes conserveraient leur identité en qualité d’arrondissement du nouvel ensemble sur le modèle des communes de Paris, Lyon ou Marseille."
Second scénario : "Créer, sur le modèle de la métropole de Lyon, une collectivité à statut particulier, sur le territoire de chaque département de la petite couronne disposant des compétences du département et des établissements publics territoriaux, portées pour ces derniers au niveau d’une communauté urbaine, sous réserve des compétences transférées à la métropole du Grand Paris".
Le premier scénario semble avoir les faveurs de la Cour. En tout cas, ces deux options conduiraient à la disparition des établissements publics territoriaux. Et ne feraient pas disparaître le territoire départemental. Le schéma est donc très différent de celui qui semble en construction du côté de l'exécutif.
 

 

 

 

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