L'Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 13 février, une proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale, déposée par Jeanine Dubié, députée des Hautes-Pyrénées, et les membres du groupe Liberté et Territoires. L'adoption s'est faite contre l'avis du gouvernement, mais aussi contre la majorité LREM qui s'est laissée déborder. Et cela même si deux articles ont été supprimés du texte initial, dont l'un était une vraie "bombe" budgétaire. Il prévoyait en effet de transformer en un crédit d'impôt la réduction d'impôt pour frais d'hébergement dont bénéficient les personnes âgées accueillies dans les établissements et les services spécialisés.
Une mesure réclamée de longue date
Sur les cinq articles initiaux, il en reste donc trois, dont les deux principaux individualisent l'ouverture du droit et le calcul de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Si la proposition de loi va jusqu'à son terme, les revenus du conjoint ne seraient plus pris en compte dans le calcul de l'AAH, ainsi que dans son plafonnement. En pratique, le texte adopté prévoit deux mesures distinctes sur l'AAH. La plus importante est la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH et de la majoration de son plafonnement. La seconde mesure consiste en la suppression de la majoration du plafond de cumul de l'AAH et de la rémunération garantie en établissement et service d'aide par le travail (Esat) lorsque le bénéficiaire est en couple. Pour Yannick Favennec Becot, député (République et Territoires) de la Mayenne et rapporteur du texte, "ces mesures entendent répondre à l'inégalité qui subsiste entre les différents bénéficiaires de l'AAH selon leur statut marital et permet que tout allocataire puisse bénéficier des revalorisations récentes de cette prestation. L'individualisation du calcul de l'AAH vise plus globalement à réaffirmer la primauté de la solidarité nationale sur la solidarité familiale ainsi que le principe d'autonomie, au fondement même de la philosophie de cette allocation".
Les associations réclament une telle mesure depuis plusieurs années. Plusieurs amendements ou propositions de loi ont d'ailleurs été déposés en ce sens. Mais la pression est montée, de façon apparemment paradoxale, avec la revalorisation de l'AAH de 90 euros par mois, promise et mise en œuvre par Emmanuel Macron. En effet, celle-ci s'est accompagnée d'une mesure spécifique pour les couples dont l'un des membres est titulaire de l'AAH, situation qui concerne environ un quart des allocataires. La majoration du plafond de ressources pris en compte dans ce cas de figure est passée de 100% à 89% puis 81% (voir notre article ci-dessous du 14 octobre 2019). Ceci revient, dans un certain nombre de cas, à annuler l'effet de la revalorisation pour les titulaires de l'AAH dont le conjoint dispose de revenus personnels. Selon les associations de personnes handicapées, sur les 1,16 million d'allocataires de l'AAH, environ 80.000 n'auraient ainsi bénéficié d'aucune revalorisation et 150.000 seulement d'une revalorisation partielle.
Quel coût pour l'individualisation de l'AAH ?
La question de la familialisation dépasse toutefois largement le cadre de l'AAH, d'autres minima sociaux (comme le RSA) ou d'autres prestations sociales (comme les APL) prenant en compte la situation familiale. Par ailleurs, s'agissant d'une proposition de loi, le texte ne s'accompagne pas d'une étude d'impact, mais le coût pourrait être élevé compte tenu du nombre d'allocataires concernés. En outre, l'AAH connaît depuis plusieurs années une croissance continue du nombre de ses allocataires, de l'ordre de 3% par an, qui a pour conséquence un dérapage récurent de la dépense budgétaire (voir notre article ci-dessous du 29 novembre 2019).
Lors de la discussion générale, Sophie Cluzel, la secrétaire d'État en charge des personnes handicapées a, par ailleurs, rappelé "qu'un investissement massif a été fait en faveur du pouvoir d'achat, avec notamment [...] un effort financier supplémentaire de plus de 2 milliards d'euros pour la revalorisation de l'AAH – mais pas seulement". Si le texte devrait sans doute être voté au Sénat – qui pourrait forcer l'adoption en l'adoptant en l'état –, son sort est en revanche plus incertain s'il revient devant l'Assemblée.
Suppression de la première des deux limites d'âge de la PCH
À noter : le troisième article de la proposition de loi prévoit de repousser la limite d'âge au-delà de laquelle il n'est plus possible, sauf exceptions, de solliciter la prestation de compensation du handicap (PCH). Aujourd'hui fixée à 60 ans (par voie réglementaire), cette limite serait portée à 65 ans. Précisions importante toutefois : il s'agit de la première barrière d'âge, celle prévoyant que le handicap ouvrant droit à la PCH doit être survenu avant 60 ans (ou 65 ans si la proposition de loi est définitivement adoptée). Une seconde barrière d'âge fixe à 75 ans l'âge limite pour demander la PCH si le handicap est survenu avant 60 ans (ou 65 ans).
La suppression des barrières d'âge est évoquée depuis la création de la PCH par la loi Handicap du 11 février 2005. Pour sa part, la suppression de la barrière d'âge des 75 ans a été annoncée lors du comité interministériel du handicap du 2 décembre 2016, peu avant les élections présidentielles, et ne s'était donc pas concrétisée dans l'immédiat. Elle a ensuite fait l'objet d'une proposition de loi votée, elle aussi, en première lecture à l'Assemblée nationale, avant de se perdre au Sénat (voir notre article ci-dessous du 18 mai 2018). Mais une seconde proposition de loi supprimant la barrière des 75 ans, cette fois-ci d'origine sénatoriale, a en revanche été adoptée successivement au Sénat puis à l'Assemblée, avec l'accord du gouvernement et devrait être bientôt promulguée (voir nos articles ci-dessous du 6 novembre 2019 et du 16 janvier 2020).
Références : proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale (adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 13 février 2020). |
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