Selon la dernière étude Viavoice, 76% des Français estiment que le gouvernement ne prend guère la mesure de la crise du logement et ne fait pas le nécessaire pour la résoudre. Un chiffre loin de surprendre les représentants des dix fédérations de l’Alliance pour le logement, réunies le 24 janvier au Cloud Business Center à Paris pour une conférence de presse exceptionnelle. "Nous y sommes, la crise est installée et elle sera historique, déclare Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment. Toujours pas de politique à l’horizon, ni de ministre d’ailleurs. Mais à quoi servirait-il sinon à continuer de perdre des arbitrages ?"

L’ambiance est tendue et les critiques fusent. Les propos tenus en décembre dernier par Patrice Vergriete, qui évoquait un secteur "drogué" à la fiscalité, ont du mal à passer. "C’est d’une excessivité jamais vue !", estime Olivier Salleron. Les fédérations n’hésitent plus à parler d’un mépris et d’une "apesanteur" politique. "Lors du Congrès HLM de Nantes en octobre, je dénonçais le désinvestissement de la puissance publique concernant le logement. Aujourd’hui, je parlerais de renoncement", déplore Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH). "Vous avez devant vous une alliance en colère", indique pour sa part Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). 

Une colère qu’il associe à celle d’autres corps de métiers, en des temps sociaux relativement troublés. "Ceux qui nourrissent, transportent, soignent et logent les Français sont méprisés !", reprend Pascal Boulanger. La formule exprimée par le président de la République lors de sa dernière allocution télévisée résonnent chez les acteurs du logement, qui se la réapproprient : "Il faut réarmer le logement, comme la natalité, la santé, l’école et l’agriculture !", affirme Grégory Monot, président du pôle habitat de la Fédération française du bâtiment.

Pinel, PTZ, statut du bailleur privé… l’Alliance détaille ses propositions

Dans la ligne de mire des fédérations, la fin programmée du Pinel en 2025. "On ne peut pas arrêter un dispositif qui a perduré pendant 38 ans sans rien lui substituer !", martèle Loïc Cantin, président de la Fnaim. Sa proposition : créer un nouveau dispositif d’incitation fiscale permettant de différer la prise en charge de l’État. Il donnerait la possibilité aux Français de porter leur investissement pendant dix ans avant de bénéficier d’une exonération d’impôt sur les revenus locatifs qu’ils percevront. Cette exonération serait portée à 15 ans pour l’achat dans le neuf et à l’occasion de travaux de rénovation énergétique. L’Union des syndicats de l’immobilier (Unis) réclame quant à elle la mise en place d’un statut du bailleur privé, y voyant un véritable dispositif pérenne d’amortissement facilitant l’investissement des propriétaires tant dans le neuf que dans l’ancien. Les membres de l’alliance souhaitent en outre revenir sur la réduction des loyers de solidarité (RLS) qui fait peser tous les ans un prélèvement de 1,3 milliard d’euros sur les bailleurs sociaux.

En matière d’accession, Loïc Cantin plaide pour la portabilité et la transférabilité des prêts (voir notre article du 17 janvier 2024). Une proposition approuvée par ses confrères, qui appellent par ailleurs à la création d’un dispositif équivalent au prêt à taux zéro (PTZ). "Il faut accompagner le financement des plus modestes et des primo-accédants", fait valoir Grégory Monod, selon qui "la métropolisation du PTZ" constitue un véritable contresens. "Avons-nous encore les moyens de stigmatiser telle ou telle forme d’habitat dans notre pays compte tenu du nombre de logements produits ? Je ne pense pas." Yannick Borde, président de Procivis, renchérit : "93% du territoire national est exclu de l’éligibilité à un prêt d’accession sociale à la propriété, une grande première doublée d’une vraie faute. Il est vrai qu’il devenait cher pour l’État, mais avec la remontée des taux, son effet levier était avéré. Il y a autre chose à imaginer."

Enfin, côté conception, Laure-Anne Geoffroy-Duprez, présidente de l’Union des architectes (UNSFA), propose que la délivrance des autorisations de construire soit transférée aux préfets dans le cas où les communes ne respecteraient pas la loi SRU ou bloqueraient des projets pourtant conformes au plan local d'urbanisme (PLU). Des mesures de simplification et de stabilisation des modalités ainsi que des conditions de financement concernant la rénovation énergétique permettraient par ailleurs de massifier ce type d’opérations. 

Un "sursaut" et des réponses fortes attendues

Concernant le futur projet de loi de décentralisation, qualifié de "vague", les membres de l’alliance s’interrogent sur les moyens et compétences associés à la démarche. Une chose est sûre : le secteur nécessite un cap et des décisions immédiates, sans quoi l’activité dans le neuf plongerait de 21,3% en 2024, les permis de 12,1% et les transactions dans l’ancien d’environ 10%. "Il ne faut pas attendre le PLF 2025 !", s’exclame Olivier Salleron. D’autant que le logement s’inscrit dans un temps long. "C’est un paquebot, affirme le président de la FFB, et les mauvaises réponses d’aujourd’hui auront des conséquences négatives pendant longtemps. Nous ne défendons pas la politique du logement dans le seul but de sauver nos métiers et entreprises, mais parce que c’est un sujet essentiel sur tous les territoires. Nous continuerons le combat ensemble !" D’autant que l’alliance entend décliner son action à l’échelle régionale, au plus proche des parlementaires et des élus locaux.

La question est désormais de savoir si le Premier ministre fera du logement une de ses priorités. "La crise du logement n’est pas un sujet individuel", estime Emmanuelle Cosse, selon qui le plein emploi ne peut s’envisager sans possibilité de loger correctement les salariés. "Nous attendons un sursaut et une mobilisation extrêmement forte pour répondre aux difficultés. Cet appel est celui de la dernière chance."

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