Depuis le début de l'été, un peu partout en France, le risque d'incendie est à son plus haut niveau. "Le changement climatique amplifie les paramètres favorables aux incendies : sécheresse, vent, fortes températures fragilisent les forêts qui souffrent. Le phénomène est trop, très rapide pour les forêts", a estimé sur France Inter ce 19 juillet Françoise Alriq, directrice adjointe de la Fédération nationale des communes forestières (FNCofor), évoquant, notamment pour l'incendie en cours à Landiras (Gironde), un "phénomène qu'on peut qualifier de méga-feu". Selon Météo-France, nous sommes dans la 45e vague de chaleur en France métropolitaine depuis 1947, un rythme qui ne fait que s'accélérer. Sur les 35 dernières années, les vagues de chaleur ont ainsi été trois fois plus nombreuses que sur les 35 années précédentes. Et le nombre de jours de vagues de chaleur a été multiplié par 9. Depuis 2010, seule l'année 2014 a été épargnée et la vague de chaleur actuelle est déjà la deuxième cette année, après l'épisode très précoce et intense du mois de juin. La moyenne des températures maximales ce 18 juillet sur la France (dans 30 stations de référence réparties sur tout le territoire) a été la deuxième plus élevée jamais enregistrée, avec 37,6°C, après le 5 août 2003, qui avait culminé à 37,7°C, au coeur d'une canicule historique et meurtrière. Le maximum a été atteint à Biscarrosse, dans les Landes, avec 42,6°C.

Incendies gigantesques en Gironde

Dans le sud-ouest, la situation est particulièrement préoccupante. Les deux gigantesques incendies qui sévissent depuis le 12 juillet en Gironde ont déjà brûlé 19.300 hectares de forêt, soit largement plus que le total enregistré pour toute la France en 2021 (12.800 hectares parcourus par les feux). Leurs fumées et odeurs, poussées par le vent, ont été ressenties dans la nuit jusqu'à Bordeaux et même plus au nord. Près de 1.700 pompiers venus de toute la France, appuyés par d'importants moyens aériens, sont mobilisés contre les deux brasiers qui ont brûlé 6.500 hectares de forêt à La Teste-de-Buch près d'Arcachon et 12.800 à Landiras, à 50 km à l'est, où un homme a été placé en garde à vue, l'enquête se dirigeant vers "un acte volontairement malveillant". Face à ces feux hors normes, 37.000 personnes ont dû être évacuées au total en six jours. Les incendies laissent dans leur sillage de nombreux dégâts. Ainsi, au pied de la dune du Pilat, les cinq campings "ont brûlé à 90%", a dit la préfète de Gironde, Fabienne Buccio.

La Bretagne touchée elle aussi

Des régions où l'on n'avait pas l'habitude de ce genre d'événements sont également touchées, comme en Bretagne, où près de 1.400 hectares de végétation sont partis en fumée dans les monts d'Arrée (Finistère) et 500 personnes ont été évacuées, dans un incendie déclenché quelques heures après les records de chaleur historiques enregistrés ce 18 juillet, avec 39,3°C à Brest ou 40,5°C à Rennes.

Les 25 massifs forestiers des Bouches-du-Rhône sont fermés jusqu'au 25 juillet et en Occitanie, les incendies se sont multipliés lundi, attisés par le vent d'autan. L'Office national des forêts (ONF) a fermé les routes forestières à la circulation en Île-de-France, en Normandie et dans les Hauts-de-France, où 252 hectares ont brûlé depuis le 20 juin dans le département de l'Oise, qui a entièrement interdit l'accès aux forêts.

Moyens de lutte suffisants ?

Face à un risque qui ne cesse de s'étendre et de s'amplifier, les moyens de lutte sont-ils suffisants ? La France dispose aujourd'hui de 19 avions bombardiers d'eau, 12 Canadair et sept Dash (dont six sont opérationnels, le dernier ayant été livré en juillet), ainsi que de deux hélicoptères bombardiers d'eau, selon la direction générale de la Sécurité civile et de la gestion de crises. Près de la moitié de cette flotte aérienne est mobilisée en Gironde : six Canadair et trois Dash sont engagés, ainsi que 1.700 pompiers. Et "entre vendredi et dimanche, deux Canadair grecs étaient présents en renfort", a indiqué Alexandre Jouassard, porte-parole de la Sécurité civile pour qui "le fait de faire appel à eux n'est pas un aveu de faiblesse." "La flotte française fait partie des mieux dotées en Europe mais elle a forcément des capacités limitées, et l'UE est une solution pour y remédier", a-t-il ajouté.

L'ensemble de ces moyens aériens est basé à l'année à Nîmes, "où sont les services de maintenance", a précisé le commandant Jouassard. La base de Nîmes est renforcée pendant la période estivale par une base arrière à Ajaccio alors que 23 aires de stationnement sont réparties sur tout le territoire. Mais, sur ces "pélicandromes", les appareils peuvent seulement recharger en eau pour retarder le feu et non faire l'objet des nécessaires opérations de maintenance. "La base gardoise est-elle à elle seule suffisante pour faire face à l'augmentation des feux de forêt sur l'ensemble du territoire ? Cela nous paraît juste", considère Anthony Chauveau, président du syndicat de pompiers Spasdis-CFTC.

"Dispositif opérationnel tendu"

Pour Olivier Richefou, président de la Conférence nationale des services d'incendie et de secours (CNSIS) et du conseil départemental de la Mayenne, "sans doute que le sud-ouest de la France n'a pas suffisamment été intégré, puisque depuis de nombreuses années les feux sont plutôt concentrés dans le sud-est". Si le dispositif en flux tendu a fonctionné jusqu'à présent, Jean-Luc Gleyze, président PS du conseil départemental de la Gironde et président du service départemental d'incendie et de secours (Sdis 33), redoute d'en voir rapidement les limites à long terme. "Nous sommes le premier massif de résineux d'Europe, s'il y a aujourd'hui deux Canadair préposés en Corse, je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas des Canadairs sur le massif des Landes de Gascogne", a dit l'élu à l'AFP, appelant à une "stratégie nationale en matière de sécurité civile, voire européenne".

Le commandant Jouassard reconnaissait dimanche un "dispositif opérationnel tendu". "Un peu plus de marge à l'avenir est souhaitable car on sait qu'on va vers une augmentation du nombre d'interventions", ajoutait-il, sous l'effet du réchauffement climatique, de la multiplication des épisodes caniculaires et des périodes de sécheresse. "Désormais l'ensemble du territoire métropolitain est concerné (par les feux), du 1er janvier au 31 décembre", insistait auprès de l'AFP la semaine dernière Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers.

Olivier Richefou juge que "des moyens aériens supplémentaires doivent être mis en oeuvre. Le plus efficace, c'est le Canadair" qui, à la différence du Dash, peut se recharger sur n'importe quel plan d'eau et pas forcément un "pélicandrome". Il est rejoint par Anthony Chauveau, pour qui il est "urgent de renouveler et d'augmenter la flotte de Canadair, vétuste".

Un modèle d'organisation à adapter aux nouveaux risques climatiques

Au-delà de la question des moyens aériens, les pompiers appellent depuis plusieurs années à une augmentation des moyens humains : "L'objectif est de 250.000 pompiers volontaires à la fin du quinquennat, contre 198.000 aujourd'hui", selon Grégory Allione. Alors que 80% des pompiers sont volontaires, "il faut également recruter davantage de pompiers professionnels", abonde Anthony Chauveau. Problème : les Sdis sont essentiellement financés par les départements et communes, dont les moyens sont limités.

"Pour l'instant, on mobilise des sapeurs-pompiers dans les départements à faible risque pour les déployer dans les zones plus exposées, relève dans un communiqué François Sauvadet, président de Départements de France. Face à la multiplication des phénomènes climatiques, ce modèle basé sur les colonnes de renforts sera à l'avenir difficilement tenable". Selon lui, "nous arrivons au bout du modèle d'organisation de la sécurité civile tel que nous le connaissons". "Un retour d'expérience est plus que jamais nécessaire", souligne-t-il, en indiquant qu'"à l'issue de la période estivale", il réunira les instances de Départements de France "pour identifier, en lien avec la Fédération nationale des Sapeurs-Pompiers, les problématiques à l'échelle du pays et réfléchir, avec l'Etat, à l'adaptation de nos moyens humains et matériels de lutte contre les phénomènes météorologiques extrêmes." "Nouveaux matériels, recrutement de sapeurs-pompiers volontaires, maillage territorial des casernes. Réorganisation et financement de la sécurité civile, tous les sujets doivent être posés sur la table pour préparer la France à affronter les nouveaux risques climatiques", souligne-t-il.

Meilleure formation des citoyens au risque 

Les pompiers, eux, continuent à plaider pour la création d'un ministère de la Sécurité civile, secrétariat d'État ou délégation interministérielle qui puisse impulser une politique commune et mobiliser des moyens conséquents. Sur France Inter ce 19 juillet, Éric Brocardi, porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, insistait aussi sur la nécessité de l'éducation des citoyens au risque "dès le plus jeune âge" car selon lui, pour éviter les catastrophes, "le citoyen reste le meilleur allié des sapeurs-pompiers". Mais il faut aussi des outils très pratiques pour accompagner cette "acculturation au patrimoine environnemental" que l'on ne connaît pas toujours. "On parle de bulletins météo des neiges ou des plages. Pourquoi n'y en a-t-il aucun concernant les massifs et les risques forestiers ?", a-t-il interrogé.

Olivier Richefou propose de prendre exemple sur la politique en matière de sécurité routière : depuis la création de la délégation interministérielle en 1972, le nombre de morts sur les routes a été divisé par cinq. "Il faut faire de même avec la sécurité civile, investir massivement sur les moyens nécessaires mais aussi la pédagogie, la prévention. (...) On voit bien que la forêt bordelaise n'était pas entretenue et une forêt qui n'est pas entretenue, c'est une forêt où le risque est terrible", développe-t-il.

Réunion de travail en Nouvelle-Aquitaine

Le président de la région Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset, sera pour sa part reçu par Élisabeth Borne ce 20 juillet en fin d'après-midi pour évoquer l'avenir de la forêt. En amont de ce rendez-vous, une réunion de travail a été organisée à son initiative ce lundi à Cestas avec les représentants des instances forestières (association régionale de défense des forêts contre l'incendie - DFCI, coopérative Alliance Forêts Bois, centre régional de la propriété forestière - CRPF, direction régionale de défense de la forêt contre les incendies - DFCI, Office national des forêts, Syndicat des Sylviculteurs du Sud Ouest) et d'autres élus régionaux (Guillaume Riou, vice-président en charge de la transition écologique et énergétique, Henri Sabarot, conseiller régional délégué à la forêt). "Cette réunion a notamment permis de tirer les premières analyses de ces évènements dramatiques pour le territoire et la forêt, a indiqué le conseil régional dans un communiqué. Des pistes de solutions pour éviter qu’un tel événement ne se reproduise ont aussi été évoquées." "Le pré-positionnement des moyens aériens sur le plus grand massif forestier d’Europe est une exigence, souligne le communiqué. Il faudra aussi s’appuyer sur le réseau de compétence régionale pour le développement de solutions technologiques et techniques à mettre en place pour de nouveaux moyens d’intervention, y compris aériens. En Nouvelle-Aquitaine, la maintenance des appareils peut être assurée, en s’appuyant sur les compétences et les formations développées, notamment au sein de l’Aérocampus Aquitaine. Les aspects liés à l’aménagement du territoire ont aussi été discutés : lutter contre le mitage du massif, traiter les bordures des routes, aménager les lisières des forêts…"

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