Pour sa déclaration de politique générale face aux députés ce 15 juillet, soit douze jours après sa prise de fonctions, Jean Castex a assuré que dans un contexte de crise économique et sociale "d'une ampleur inégalée", sa "première ambition, immense" sera de "réconcilier ces France si différentes, les souder ou les ressouder" – "France des banlieues, France rurale, France des vallées, France des outre-mer, France dites périphériques, France de ceux, y compris au cœur de nos villes, qui n’ont pas droit à la parole"…

Selon lui, la crise a précisément "mis en lumière, de manière très crue, nos difficultés et parfois nos défaillances". Et exige évidemment aujourd'hui des réponses inédites, que ce soit en termes de méthode ou d'ampleur des moyens. Des réponses qui, pour la plupart, passeront avant tout par "les territoires". De territoires en effet, il en a bien été question tout au long de ce discours d'une heure. Près d'une trentaine d'occurrences. "C’est dans les territoires que nous mettrons en application, chaque fois que cela sera possible, les mesures du plan de relance, de lutte contre le chômage, de reconquête de l’économie", a résumé Jean Castex.

C'est d'abord à un changement dans l'action de l'État qu'a appelé le nouveau Premier ministre : les acteurs publics doivent "faire évoluer profondément et rapidement leurs modes d’intervention pour les diriger vers la vie quotidienne de nos concitoyens". S'en est suivi un tableau plutôt sévère. Les questions "d’exécution, de mise en œuvre, d’efficacité opérationnelle" auraient "depuis longtemps" été "reléguées au rang de choses subalternes", lois et décrets "se perdent dans des méandres sinueux et opaques au point de n’impacter que de manière lointaine, incertaine et souvent incomprise la vie quotidienne", les agents publics eux-mêmes "sont bien souvent aussi les victimes d’une organisation collective inadaptée dans laquelle se consument l’intelligence et les bonnes volontés". Résultat : "c’est le règne de l’impuissance publique", " l’État ne s’est pas adapté à la France". Il est donc "urgentissime de faire évoluer le logiciel de l’action publique". Y compris en trouvant "les modalités de conciliation entre démocratie directe et démocratie représentative". La Convention citoyenne sur le climat et la transformation du Conseil économique et social en Conseil de la participation citoyenne ont été mentionnées à ce titre.

Et dans le même temps, il s'agit de "faire confiance" à "cette France des territoires, à cette France de la proximité" dans la mesure où "c’est elle qui détient en large part les leviers du sursaut collectif", a clamé Jean Castex, poursuivant : "Libérer les territoires, c’est libérer les énergies. C’est faire le pari de l’intelligence collective. Nous devons réarmer nos territoires. Nous devons investir dans nos territoires. Nous devons nous appuyer sur nos territoires. Pris par le haut, tous les sujets deviennent des objets de posture ou de division." D'où la nécessité que "le droit à la différenciation soit consacré dans une loi organique" (on sait que le projet de loi a été transmis au Conseil d'État et que sa présentation est donc en principe imminente) et d'engager "une nouvelle étape de la décentralisation". On n'en saura toutefois pas plus là-dessus. Mais peut-être le Premier ministre reviendra-t-il sur le sujet ce jeudi 16 juillet au Sénat, où il doit également d'exprimer.

Une annonce, en revanche, concernant l'État déconcentré. Rappelant avoir pleinement misé, lorsqu'il avait été chargé d'organiser le déconfinement, sur le "couple maire-préfet de département", Jean Castex a dit souhaiter "rendre rapidement plus cohérente et efficace l’organisation territoriale de l’État, en particulier au niveau du département". Et qu'à cette fin, "toutes les créations d’emplois qui seront autorisées par le PLF 2021 seront affectés, sauf exception justifiée, dans les services départementaux de l’État et aucun dans les administrations centrales". "C'est une révolution", a-t-il insisté.

Emploi : "plan pour la jeunesse", formation, activité partielle

Jean Castex a assuré que la lutte contre le chômage et la préservation de l'emploi seraient "la priorité absolue du gouvernement pour les 18 prochains mois". Dès ce vendredi, le gouvernement rencontrera les partenaires sociaux pour finaliser le "plan pour la jeunesse", alors que 700.000 jeunes vont se retrouver sur le marché du travail dans un contexte sinistré. Ce plan – qui s’ajoute au plan d’un milliard d’euros pour l’apprentissage - reposera sur trois axes : l’embauche des jeunes, la lutte contre le décrochage et le soutien aux étudiants. Jean Castex a confirmé l’annonce du président de la République concernant l’instauration d’un dispositif d’exonération de charges pour l’embauche d’un jeune de moins de 25 ans, jusqu’à 1,6 Smic "dans toutes les entreprises pendant un an", soit un coût estimé à 4.000 euros par an. Le deuxième axe est la lutte contre le décrochage : 300.000 projets de contrats d’insertion (contrats aidés) et 100.000 places supplémentaires en service civique. S’agissant des étudiants, dès la rentrée, les étudiants boursiers ne paieront qu’un euro pour un repas en restaurant universitaire, a simplement indiqué Jean Castex.

Le Premier ministre a aussi dévoilé les grandes lignes du plan de relance de 100 milliards d’euros qui sera présenté "début septembre" et qui couvrira "tous les grands secteurs économiques et tous les territoires". Le plan mettra avant tout l’accent sur l’emploi et la formation professionnelle, au-delà des 38 milliards d’euros déjà prévus sur l’activité partielle (30 cette année et 8 l’année prochaine) pour faire face à la "baisse durable des carnets de commandes". "Le développement des compétences est la meilleure des protections pour garder, trouver ou retrouver un emploi", a insisté le Premier ministre. Une enveloppe de 1,5 milliard d’euros sera fléchée sur la formation, les régions étant invitées à "amplifier leurs interventions propres". Le compte personnel de formation (CPF) sera abondé pour "les personnes qui s'orienteront vers les formations dans les secteurs en tension", avec l’objectif de permettre 200.000 formations supplémentaires en 2021.

La réforme de l’assurance chômage reviendra sur le métier. Pour "l'aménager". Cela sera au cœur des discussions avec les partenaires sociaux ce vendredi.

On saura enfin que "les entreprises qui bénéficieront d’aides au titre de ce plan ou s’inscriront dans le cadre de l’activité partielle de longue durée, seront invitées à une stricte modération dans la distribution des dividendes".

Économie... et investissement des collectivités

"Ce plan de relance sera un plan de reconquête économique et territoriale", a déclaré Jean Castex. La clef de voûte : "Transformer notre appareil productif", revivifier "notre industrie". 40 milliards d'euros y seront consacrés. Et le Premier ministre d'évoquer un allègement des impôts "qui pèsent sur la production", le développement des "technologies d'avenir", la numérisation des entreprises et des administrations… et un soutien aux "investissements des collectivités territoriales orientés vers le développement durable et l’aménagement du territoire", notamment pour tout ce qui est "réseaux" : très haut débit, réseaux d’eau et d’assainissement, petites lignes ferroviaires…

Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville concernés par des projets de rénovation urbaine, le Premier ministre veut que "d’ici la fin de l’année prochaine, les travaux aient démarré dans 300 des 450 quartiers concernés". Soit un effort conséquent demandé à l’Anru et aux collectivités qui auraient à boucler, en un peu plus d’un an et pour les communes qui ne l’ont pas déjà fait, le passage en phase opérationnelle de leur projet. Au titre du NPNRU, l’opérateur national comptabilisait en mars dernier 213 opérations finalisées, 445 opérations mises en chantier et plus de 1.000 projets en phase pré-opérationnelle.

Jean Castex a par ailleurs évoqué l’accélération de l’Agenda rural, appelant à "prioriser le déploiement du programme Petites Villes de demain". Le programme Action cœur de ville n’a, lui, pas été évoqué par le Premier ministre. Ce dernier a toutefois annoncé devant les députés la mise en place d'"un moratoire sur l’installation de nouveaux projets de centres commerciaux dans les zones périphériques". Reste à savoir en quoi cela ira plus loin que les moratoires locaux déjà rendus possibles dans les zones couvertes par une ORT (opération de revitalisation du territoire).

Écologie : des "contrats de développement écologiques"

"Je crois en la croissance écologique, pas à la décroissance verte." Voilà qui est dit. Quoi qu'il en soit, Jean Castex ambitionne de "faire de l’économie française la plus décarbonée d’Europe". Dans ce cadre, le plan de relance mobilisera "plus de 20 milliards d’euros pour la rénovation thermique des bâtiments, pour réduire les émissions des transports et de nos industries, pour produire une alimentation plus locale et durable, pour soutenir les technologies vertes de demain comme les batteries, pour mieux recycler et moins gaspiller". Le Premier ministre a aussi insisté sur la nécessité "d’accompagner individuellement les Français" pour leur permettre de "concilier transition écologique et pouvoir d’achat". Et ce, que ce soit "en matière de logement, en finançant leur projet de rénovation thermique" ou "en matière de transports, grâce à la prime à la conversion, mais aussi en structurant mieux le marché de l’occasion et en s’appuyant sur la location longue durée" et en misant sur le "vélo électrique"... ou encore en assurant "une alimentation de qualité, locale, accessible dans toutes les villes et villages de France"…

Les collectivités retiendront surtout l'annonce d'un apparent nouveau type de contrats, les "contrats de développement écologique", qui devront être élaborés sur "tous les territoires" d'ici 2021. Ces contrats comprendraient "des plans d’action concrets, chiffrés, mesurables" dans tous les domaines ou presque : "du développement des pistes cyclables à la lutte contre l’artificialisation des sols, de l’équipement des toitures photovoltaïques à la promotion du tri sélectif, de la lutte contre les gaspillages à la promotion des énergies renouvelables, du nettoiement des rivières aux économies d’eau, d’énergie et d’éclairage public". "Les élus, les forces vives et les citoyens seront les acteurs de ces contrats territoriaux, dont l’État sera partenaire et financeur", a précisé Jean Castex.

Social

Pauvreté – "Des mesures de soutien pour nos concitoyens les plus précaires seront donc prises", a assuré le chef du gouvernement, annonçant que l’allocation de rentrée scolaire "sera revalorisée de 100 euros" en septembre et que le plan Pauvreté "sera poursuivi et amplifié en fonction de l’évolution de la conjoncture".

Santé – Mettant l'accent sur l'accord signé deux jours plus tôt dans le cadre du Ségur de la santé (voir notre article de ce jour), il a indiqué vouloir "donner davantage de souplesse aux établissements, intégrer la qualité des soins dans les règles de financement des hôpitaux et des médecins de ville, mettre l’accent sur la prévention notamment en développant les actions sport-santé et impliquer davantage les élus des territoires à la gestion du système de santé".

Dépendance – Jean Castex souhaite que les premiers travaux engagés dans la perspective de la création d'un cinquième risque "puissent se poursuivre selon des modalités que nous arrêterons en lien avec les partenaires sociaux". Cette réforme "devra aboutir avant la fin du quinquennat".

Financer tout ça

"Dans une telle situation de crise, la réponse ne saurait être l’austérité budgétaire qui ne ferait qu’aggraver les choses", tranche Jean Castex quant aux conséquences pour les finances publiques d'un plan de relance à 100 milliards d'euros. "Autant nous devons assumer le sérieux budgétaire sur nos dépenses de fonctionnement, autant nous devons ensemble assumer cet investissement massif", a-t-il poursuivi, rappelant le "soutien exceptionnel" apporté par l’Union européenne. En rappelant, aussi, que "la part conjoncturelle de la dette, liée à la crise, fera l’objet d’un cantonnement".

Laïcité : une loi contre "les séparatismes"

"Aucune religion, aucun courant de pensée, aucun groupe constitué ne peut s’approprier l’espace public et s’en prendre aux lois de la République", a réaffirmé le Premier ministre, pour qui "lutter contre l’islamisme radical sous toutes ses formes est et demeure l’une des préoccupations majeures". Ayant considéré dans ses propos introductifs que la République "se trouve aujourd’hui ébranlée dans ses fondements par la coalition de ses ennemis - terroristes, complotistes, séparatistes, communautaristes", il a à ce titre annoncé qu'un "projet de loi sur la lutte contre les séparatismes sera présenté en conseil des ministres à la rentrée pour éviter que certains groupes ne se referment autour d’appartenances ethniques ou religieuses".

Jean Castex souhaite par ailleurs que la police de sécurité du quotidien se déploie "beaucoup plus fortement". Et entend "promouvoir la justice de la vie quotidienne" afin de contrer "la petite délinquance, les petites incivilités, le tag, l’insulte, le petit trafic, les troubles à ce que le code communal appelle la tranquillité publique"… avec l'idée de "créer dans les territoires des juges de proximité affectés à la répression de ces incivilités du quotidien" (on se souviendra que  les juridictions de proximité qui, depuis 2002, réglaient les petits litiges du quotidien, ont officiellement disparu il y a deux ans, en juillet 2017).

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