L'Assemblée nationale a adopté ce 16 décembre, en première lecture, le projet de loi relatif à la réforme de l'asile (pour le contenu du texte, voir notre article ci-contre du 23 juillet 2014), qui a été voté par 324 voix, contre 188 et 29 abstentions. Les socialistes, radicaux de gauche et UDI ont voté pour, le Front de gauche et les écologistes se sont abstenus, alors que l'UMP a voté contre.
A l’occasion de cette première lecture, les députés, sans bouleverser l'équilibre général du texte, y ont néanmoins apporté un certain nombre d'aménagements significatifs. Le gouvernement en a également profité pour remodeler ou compléter certaines dispositions importantes du projet de loi.
Genre, apatrides et secret
Plusieurs amendements (dont le n°258, art.2) affirment ainsi clairement la nécessité de prendre en compte explicitement les violences faites aux femmes comme motif d'asile, alors qu'aujourd'hui "en France, l'appartenance à un certain groupe social constitue le motif principal auquel se réfèrent les autorités pour discuter le statut de réfugié des femmes persécutées pour des raisons ou sous des formes liées au genre". Dans le même esprit, un autre amendement (n°279, art.6) prévoit de prendre en compte la situation des femmes dans l'établissement de la liste des "pays sûrs".
De même, un amendement (n°308, après l'art.4) crée un titre spécifique dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), afin de regrouper les dispositions spécifiques aux apatrides et notamment les modifications proposées par la commission des affaires étrangères. En 2013, 227 demandes de statut d'apatride ont été déposées à l'Ofpra (+39%) et l'office protège actuellement 1.247 apatrides. Un autre amendement (n°173, art.5) lève le secret auquel est tenu l'Ofpra lorsque celui-ci est en possession d'informations sur des crimes commis constitutifs de cas d'exclusion du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. L'office peut alors transmettre ces informations à la justice. Une suite évidente aux affaires qui ont touché certains réfugiés Hutus, responsables de massacres de Tutsis. A l'inverse, plusieurs amendements sur différents articles (n°469 sur l'art.5 et n°470 sur l'art.10, présenté par le gouvernement) réaffirment la nécessité, pour l'Ofpra, de veiller à ne pas divulguer accidentellement des informations qui pourraient parvenir aux auteurs de persécutions et nuire ainsi aux personnes à l'origine de ces informations, aux réfugiés et à leur famille, ainsi qu'aux ONG.
Procédure accélérée, motivation et crédibilité
Un amendement (n°271, art.5 bis) fait passer de deux à quatre la représentation des parlementaires et de un à deux celle des parlementaires européens au sein du conseil d'administration de l'Ofpra (avec obligatoirement trois hommes et trois femmes). Selon les auteurs de l'amendement (groupe EELV) "cela permettrait [...] d'élargir la concertation pour l'établissement de la liste des pays d'origine sûrs".
Un amendement du groupe socialiste (n°283, art.7) risque d'aller à l'encontre de la volonté du gouvernement de développer la procédure accélérée pour les demandeurs originaires de pays sûrs. Il donne en effet à l'Ofpra la possibilité, dans ce cas de figure, de ne pas traiter la demande en procédure accélérée lorsque le demandeur "invoque des raisons sérieuses de penser que son pays d'origine ne peut pas être considéré comme sûr en raison de sa situation personnelle et au regard des motifs de persécution invoqués pour demander l'asile".
Un amendement du gouvernement (n°155, art.7) répare un oubli dans la rédaction initiale, en précisant que toutes les décisions de l'Ofpra - y compris celles de clôture ou d'irrecevabilité - doivent être motivées et indiquer les voies et délais de recours. De même, un autre amendement du gouvernement (n°472, art.7) donne une consécration législative au principe de "crédibilité". L'amendement précise ainsi que si le demandeur "s'est réellement efforcé de l'étayer [sa demande, ndlr] en présentant tous les éléments à sa disposition et en expliquant de façon satisfaisante l'absence d'autres éléments probants et si, la crédibilité générale du demandeur étant établie, ses déclarations sont considérées comme cohérentes et plausibles", la demande sera considérée comme crédible.
Zone d'attente, recours et accès au travail
Un amendement parlementaire (n°208, art.8) précise que l'avocat ou le représentant d'une ONG autorisée peuvent accompagner l'agent de l'Ofpra lors de l'entretien avec un demandeur retenu en zone d'attente. Toujours dans le registre de l'amélioration des droits, un amendement du gouvernement (n°473, art.8) prévoit un recours effectif (suspensif) contre la décision de transfert vers un Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile, y compris lorsque cette demande est présentée à la frontière. Il renforce aussi l'effectivité du recours suspensif contre les décisions de refus d'entrée au titre de l'asile.
Un amendement du gouvernement (n°411, art.15) autorise l'accès au marché du travail aux demandeurs d'asile lorsque l'Ofpra n'a pas statué sur leur demande d'asile, dans un délai de neuf mois suivant l'introduction de leur demande. Autre précision importante, toujours de la part du gouvernement (n°494, art.14) : lorsque le demandeur présente une demande d'asile alors qu'il fait l'objet d'une mesure d'éloignement, cette mesure n'est pas abrogée mais son exécution est seulement suspendue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande d'asile. Un autre amendement, déposé par la rapporteure (n°410, art.15) garantit un droit à la domiciliation auprès d'une association agréée aux demandeurs d'asile sans domicile stable pendant toute la durée d'instruction de leurs demandes. L'administration sera tenue d'agréer au moins une association par département.
ATA, réunification familiale et outre-mer
Un amendement du rapporteur de la commission des affaires sociales (n°81, art.15) introduit une mesure, qui avait pourtant vocation à figurer dans le texte initial du gouvernement après le rapport des trois inspections générales (Igas, IGA et IGF) de septembre 2013. Il prévoit en effet que le barème de l'allocation temporaire d'attente (ATA) "prend en compte le nombre d'adultes et d'enfants composant la famille de demandeurs d'asile". Cette prise en compte se fait à budget constant.
Deux amendements de l'opposition et de la majorité (n°16 et 495, art. 19) limitent la réunification familiale des réfugiés aux enfants, non mariés, de moins de 19 ans. Enfin, un amendement du gouvernement (n°486, art. 20) crée un observatoire de la mise en oeuvre de la politique de l'asile en outre-mer. Cette création vise notamment la situation particulière de la Guyane et de Mayotte.
Jean-Noël Escudié / PCA
Références : projet de loi relatif à la réforme de l'asile, adopté, en première lecture, par l'Assemblée nationale le 16 décembre 2014.
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