Pour remettre de l'ordre dans les finances publiques des Etats, tous les moyens sont bons, y compris le chantage aux subventions. Dans son projet sur l'avenir de la politique régionale, attendu pour le début du mois d'octobre, la Commission européenne a pris soin de glisser une corrélation discrète entre la politique régionale et les contraintes d'équilibre budgétaire. Aucun article n'y fait allusion, mais la notion est bien présente en préambule.
Il faut "s'assurer que l'efficacité des dépenses de cohésion ne soit pas sapée par des politiques macro-fiscales mal conçues", écrit la Commission. "Elle ne veut pas que ce soit un gros point de discussion, observe une source proche du dossier, même si tout se discute dans un texte, y compris les 'considérants'."
Ironie du sort
Le débat n'est pas neuf. Dès 1996, plusieurs ministres des Finances, emmenés par le centriste Jean Arthuis, aujourd'hui sénateur, avaient invité la Commission à suspendre les aides régionales européennes des Etats affichant un déficit excessif. Ironie du sort, Bruxelles avait préféré écarter le projet, adoptant une rhétorique très proche du discours actuel des collectivités locales françaises : "Il pourrait s'avérer difficile d'expliquer aux régions pouvant bénéficier des fonds structurels, qui contribuent dans certains cas elles-mêmes à l'effort budgétaire de développement, que les transferts communautaires sont suspendus pour des raisons auxquelles celles-ci sont très largement, voire totalement étrangères", écrivait-elle. Contrairement à l'Etat, les collectivités locales n'ont pas le droit d'adopter des budgets en déficit pour leurs dépenses de fonctionnement.
"Elles contribuent à l'endettement de l'ensemble des administrations publiques, résume Frédéric Allemand, maître de conférences à Sciences Po, mais elles n'ont pas de prise sur le déficit dû par exemple aux dépenses de sécurité sociale ou aux niches fiscales."
Rattrapage économique
Dès 1994, un lien direct a pourtant été établi entre l'octroi du fonds de cohésion historiquement taillé sur mesure pour les pays du Sud (Grèce, Espagne, Portugal) et la bonne gestion des deniers publics. A l'époque, la méthode n'avait pas déclenché de levée de boucliers. Destiné aux pays qui accusaient un retard certain sur leurs voisins européens au moment de leur entrée dans l'UE, le fonds de cohésion avait vocation à organiser "le rattrapage économique d'Etats entrants en vue de la création de l'Union économique et monétaire. Il avait donc été conçu avec une logique macro-économique", rappelle un spécialiste.
Ce fonds bénéficie aujourd'hui essentiellement aux pays d'Europe de l'Est. Mais les sanctions inscrites sur le papier ne résistent pas à l'épreuve des faits : en dix-sept ans d'existence, le couperet n'est jamais tombé sur les pays bénéficiaires du fonds de cohésion, alors que l'état de leurs finances publiques le permettait…
Etincelles
Les régions bénéficiant du Fonds européen de développement régional (Feder) et du Fonds social européen (FSE) ont-elles aujourd'hui raison de s'inquiéter ? Depuis l'année dernière, la Commission européenne joue avec leurs nerfs.
En juin 2010, une première communication avait fait des étincelles. "En cas de non-respect des règles, des incitations peuvent donc être créées en suspendant ou en annulant partiellement des crédits actuels ou futurs du budget de l'UE", écrivait la Commission, avant d'abandonner cette mention dans le train de six textes sur la gouvernance économique présentés en septembre. Un mois et demi plus tard, elle décide de réintroduire l'idée dans le 5e rapport de cohésion. Avant de se raviser par la voix de Dirk Ahner, directeur général de la politique régionale à la Commission européenne. A ce moment-là, les régions croient frôler la victoire.
Fausse alerte. Fin juin, la machine repart de plus belle avec les propositions budgétaires pour 2014-2020. La conditionnalité est "particulièrement utile dans les grands secteurs de dépense que constituent la politique de cohésion et l'agriculture", écrit la Commission, soucieuse d'éviter que les dépenses de fonds européens n'aient aucun effet sur le terrain lorsque l'Etat bénéficiaire affiche des mauvais indicateurs macro-économiques.
Terrain glissant
Bruxelles fait donc comprendre que la suspension des aides européennes pendrait au nez des régions comme des agriculteurs. Seul garde-fou, les sanctions ne doivent pas affecter les bénéficiaires finaux des fonds de l'UE. Les exploitants agricoles pourraient donc continuer à percevoir leurs subventions via le concours de l'Etat, mais celles-ci ne seraient plus remboursées par l'UE. Dans ses projets de règlements pour la PAC, la Commission fait pourtant l'impasse sur une éventuelle confiscation des aides agricoles punissant les Etats trop dispendieux.
Un silence qui fait écho aux propositions franco-allemandes présentées mi-août. Dans leur document, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se sont bien gardés de s'aventurer sur le terrain glissant de l'agriculture, réservant leurs foudres aux aides territoriales. "A l'avenir, les paiements issus des fonds structurels et de cohésion devraient être suspendus dans les pays de la zone euro qui ne se conformeraient pas aux recommandations de la procédure sur les déficits excessifs", écrivent-ils.
Même technique, le dossier reste politiquement explosif. A ce jour, la Commission européenne tergiverse encore sur l'opportunité d'un trait d'union entre les fonds régionaux et la santé financière des Etats. L'indécision est telle qu'il reviendrait à José Manuel Barroso de trancher le débat en dernier ressort, rapporte une source bruxelloise. En attendant, les régions veillent au grain. Une "rupture d'égalité" entre les fonds ou les conséquences du désengagement européen sur l'action des collectivités locales pourrait constituer des arguments en cas d'action en justice…
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