Lors d'un vote solennel à l'Assemblée nationale ce 4 mai, le projet de loi Climat et Résilience a été adopté en première lecture par 332 voix contre 77, et 145 abstentions. Ont voté pour les groupes LREM, Modem et Agir Ensemble, contre les groupes socialiste, LFI, communiste et les députés non-inscrits du collectif EDS (dont Delphine Batho, et Matthieu Orphelin). S'est abstenue la majorité des groupes LR, UDI et Libertés et Territoires (voir l'analyse du scrutin).
Texte "inédit par son ampleur"
"Le combat écologique n'est jamais terminé mais avec cette loi nous marquons un tournant", s'est réjouie la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili après le vote, insistant sur le "processus inédit" qui a conduit à l'élaboration de ce texte inspiré des travaux de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) voulue par Emmanuel Macron. Le projet de loi a donné lieu à quelques 200 heures de débats au Palais Bourbon. En commission puis en séance (lire notre dossier), les députés l'ont largement enrichi avec l'adoption de quelque "1.000 amendements, dont 200 issus des rangs de l’opposition", a-t-on souligné au ministère de la Transition écologique la veille du vote dans l'hémicycle. Dans l'entourage de la ministre, on vante ainsi un texte "inédit par son ampleur", qui vient "parachever l’édifice écologique construit brique après brique" depuis le début du quinquennat avec l’adoption successive de la loi d’orientation des mobilités, de la loi énergie-climat, de la loi Egalim ou encore de la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec).
"Cette dernière brique ajoute une dimension culturelle, d’évolution des comportements des Français" à travers les dispositions sur la publicité, l’éducation à l’environnement ou encore les menus végétariens à la cantine. Le ministère évoque également "toute une série de mesures qui marquent des ruptures totalement assumées", citant en particulier l’objectif de diviser par deux le rythme d’artificialisation des sols d’ici à dix ans qui va "avoir un impact massif pour [les] élus locaux dans la manière dont ils aménagent leurs territoires". Ou encore ceux de mettre fin à la location des passoires thermiques et d’interdire les vols intérieurs lorsqu’une alternative ferroviaire sans correspondance de moins de 2h30 existe.
Fin février, le Haut Conseil pour le climat, instance indépendante du gouvernement, avait pointé "la portée réduite" de certaines mesures, au regard des objectifs de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre en France, en 2030, par rapport à 1990. L'Union européenne vient en outre de renforcer ses ambitions en 2030, pour baisser les émissions de 55% par rapport à 1990. "Ce n'est pas ce projet de loi seul" qui permet d'atteindre les objectifs français, mais "la somme" de plusieurs lois et les "30 milliards de l'axe verdissement du plan de relance", s'est défendu l'entourage de la ministre de la Transition écologique.
"Ligne de crête"
Marquée par la crise des "gilets jaunes" née d'une taxe carbone sur les carburants, la majorité a insisté lors des explications de vote à l'Assemblée sur la "ligne de crête" entre "ambition écologique" et "acceptabilité sociale". Ce mouvement social "nous a rappelé comment l'acceptation de la population à la transition était cruciale et n'allait pas de soi", a redit Marie Lebec (LREM) dans l'hémicycle. Une prudence manifeste au sujet de la filière poids lourds, très hostile au texte. Les LREM soulignent ainsi les nombreuses "étapes" avant la mise en place éventuelle d'une écotaxe régionale dans les collectivités volontaires. La gauche, elle, a regretté "l'autosatisfaction" du gouvernement (Guillaume Garot, PS), malgré un "empilement de mesures anecdotiques" (Hubert Wulfranc, PCF). C'est une loi "de communication" (Loïc Prud'homme, LFI), "pas à la hauteur de l'urgence" climatique selon l'écologiste Delphine Batho. Remontée contre une "écologie punitive", de "taxes" et de "culpabilisation permanente" (Jean-Marie Sermier, LR), la droite a prôné a contrario la défense d'une "écologie positive".
Déceptions de membres de la CCC et des ONG
Du côté des membres de la CCC et des associations environnementales, la déception reste grande. L’association "Les 150", qui regroupe des citoyens membres de la CCC a écrit le 30 avril, au président de la République et aux parlementaires, afin que soit "rectifié" l’exposé des motifs du projet de loi. Pour l'association, qui rappelle que le mandat de la CCC était d’émettre des propositions permettant à la France de réduire d’au moins 40% d'ici à 2030 (par rapport à 1990) les émissions de gaz à effet de serre dans un esprit de justice sociale, le projet "ne répond que très partiellement aux attentes exprimées par les citoyens". "Les 150" souhaitent donc que "soit clairement indiqué" que ce projet "constitue un premier pas, et que des dispositions légales complémentaires devront être rapidement engagées".
Les ONG du Réseau action climat ont aussi dénoncé ce 3 avril "le double échec écologique et démocratique de la loi Climat". "Les enjeux de justice sociale restent absents du projet de loi et la France n’est toujours pas en situation d’atteindre ses objectifs sur le climat, estiment-elles. Sur de nombreux sujets, le texte dissimule mal son cruel manque d’ambition. Malgré la volonté affichée d’interdire les extensions d'aéroports, aucun des projets actuellement en débat n’est concerné ; seules 1 à 3 lignes aériennes intérieures fermeront, l’objectif concernant la fin de vente des véhicules polluants ne concerne au final qu’1 à 3% des véhicules mis sur le marché, etc." France Nature Environnement (FNE) estime aussi que le texte est "très loin de répondre au défi climatique", avec "quelques petits pas, parfois en arrière" et "des grandes lacunes et des non-dits", sur la fiscalité des transports et les entrepôts du e-commerce, notamment.
Fumigènes à la main et cadenas au cou, une dizaine de militantes d'Extinction Rebellion se sont enchaînées aux grilles du Palais Bourbon mardi, fustigeant un texte "indigent" tandis qu'une nouvelle "marche climat" est annoncée dimanche 9 mai, après celle du 28 mars.
Au tour du Sénat
L’examen du texte au Sénat va commencer ce 5 mai par l’audition de la ministre de la Transition écologique puis ce sera au tour des ministres chargés des Transports et du Logement, Jean-Baptiste Djebbari et Emmanuelle Wargon, d'être auditionnés le 12 mai. L’examen des amendements par les différentes commissions saisies au fond ou pour avis aura lieu à partir de la fin mai avant la discussion en séance publique attendue courant juin. Le gouvernement anticipe une nouvelle lecture à la rentrée en cas d'échec de la commission mixte paritaire qui devrait se réunir en juillet.
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