"Les collectivités ont-elles encore les moyens d'investir ?" ou "Comment maintenir les dépenses d'équipement des collectivités ?" Tel était l'axe donné cette année à la traditionnelle séance plénière consacrée aux finances locales, mercredi 23 novembre, dans le cadre du Congrès des maires. Avec, en prélude, le rappel de quelques chiffres désormais bien connus, dont le fait que les collectivités représentent 71% de l'investissement public en France, dont 22% pour le seul bloc local (communes et intercommunalité).
Les échanges entre les élus présents à la tribune comme dans la salle et les représentants de l'Etat – de la DGCL, de Bercy, sans oublier le ministre de l'Economie, François Baroin – se sont de fait principalement focalisés sur trois grands sujets d'actualité. D'abord, l'impact de la réforme fiscale née de la suppression de la taxe professionnelle - une réforme qui, deux ans après son inscription dans la loi, est visiblement loin d'avoir été digérée. Ensuite, une nouvelle réforme, encore en gestation cette fois, celle de la péréquation avec la création du fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) prévu par le projet de loi de finances pour 2012. Enfin, le paysage de l'accès des collectivités au crédit qui est en train de se dessiner avec la perspective, d'une part, du consortium public entre la Caisse des Dépôts et la Banque postale et, d'autre part, de l'Agence de financement des collectivités.

Réforme fiscale : des progrès en vue en termes d'information

La réforme de la taxe professionnelle a-t-elle atteint ses objectifs ? Même en se plaçant du point de vue des entreprises - et notamment des entreprises industrielles tentées par des délocalisations, pour lesquelles la réforme avait été imaginée -, tout le monde n'a pas tout à fait la même appréciation. "Globalement, l'objectif est atteint, dans la mesure où toutes les entreprises industrielles ont bien été bénéficiaires", a estimé Eric Portal, le président de l'Afigese, invité à présenter une étude réalisée par son association de directeurs financiers, tout en relevant que du côté des PME, on trouvait bien des entreprises perdantes et, a contrario, des "super gagnantes". C'est pour sa part un "satisfecit" qu'a délivré Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale à Bercy, déjà interrogée sur le sujet une semaine plus tôt par la nouvelle mission sénatoriale d'information sur les conséquences de la réforme.
Tout en reconnaissant des hausses de cotisations plus sensibles que prévu pour certaines TPE, Marie-Christine Lepetit a mis en avant les garanties apportées pour que "les territoires ne soient pas pénalisés", pour assurer "un retour pour les collectivités" : le choix de la territorialisation de la CVAE, la mise en place d'une cotisation minimale pour toutes les entreprises… Elle a aussi fait valoir que les lois de finances de fin d'année (PLF et collectif budgétaire) apporteront un certain nombre d'ajustements intéressants pour les collectivités, y compris en termes d'information avec, notamment, l'annonce par Valérie Pécresse de données sur la répartition de la CVAE. Deux amendements votés par l'Assemblée dans le cadre du PLF devraient en outre permettre de sécuriser l'accès des collectivités aux informations déclarées par les entreprises et autoriser ces mêmes collectivités et intercommunalités à communiquer entre elles "des informations fiscales sur leurs produits d'impôts".

Une compensation malheureusement "figée dans le temps"

Les maires qui se sont exprimés mercredi ont forcément reparlé de la perte potentielle de dynamisme pour les territoires industriels. "Pour ceux qui avaient déjà des bases faibles, il n'y a plus aucune dynamique possible, tout est figé", a par exemple relevé Pierre Jarlier, sénateur-maire de Saint-Flour (Cantal). Ce à quoi son homologue de la Haute-Marne, Charles Guené, d'ailleurs rapporteur de la nouvelle mission sénatoriale, a objecté qu'au moins, les territoires "n'auront plus peur de perdre un dynamisme qui, de toute façon, avec la crise actuelle, est plus qu'hypothétique". Charles Guené parle ainsi d'un "effet péréquation" de la réforme. En tout cas, plusieurs élus, à l'instar de Marie-France Beaufils, sénateur-maire de Saint-Pierre-des-Corps, ont regretté que les reversements opérés dans le cadre du FNGIR (Fonds national de garantie individuelle des ressources) soient "figés dans le temps". Et l'on aura par exemple aussi entendu dans la salle : "N'oublions pas que les compensations telles que le FNGIR sont versées en euros courants et non en euros constants. Et puis l'on sait bien que toute compensation a vocation à disparaître un jour ou l'autre…".

Feuille d'impôts : "C'est de toute façon le maire qui en prend plein la figure"

En marge de la suppression de la TP, les maires ont évoqué une victime collatérale de la réforme fiscale : la lisibilité de la feuille d'impôts reçue cette année par les administrés, avec le basculement de la part départementale de la taxe d'habitation dans la colonne intercommunalité. "Un impôt ménage apparaît pour l'EPCI, sans que cela ait été expliqué", a témoigné Pascal Buchet, maire de Fontenay-aux-Roses (92) et rapporteur de la commission des finances de l'AMF. "Il aurait fallu au moins une astérisque pour dire aux habitants que ce n'est pas la communauté qui a décidé d'un impôt nouveau", a-t-on pu entendre dans la salle.
Répondant aux diverses interpellations des élus, François Baroin a semble-t-il admis que ce flou puisse indisposer les élus, lançant au passage : "Quel que soit le niveau de collectivité concerné par une hausse de taxe d'habitation, c'est de toute façon le maire qui en prend plein la figure…". Pour le ministre, il pourrait même être souhaitable que chaque collectivité fasse inscrire sur la feuille d'impôts la hausse de taux qu'elle aura votée.

Péréquation : question de critères

Autre grand sujet de préoccupation des élus, donc : la péréquation avec le nouveau FPIC. En sachant que le dispositif n'est pas encore arrêté puisque le PLF 2012 est toujours en discussion (et que l'Assemblée nationale puis la commission des finances du Sénat ont tour à tour retouché le projet de loi initial). Le directeur général des collectivités locales, Eric Jalon, a tenu à rappeler que le FPIC était une "coproduction" entre les élus et l'Etat, avec une série de réunions du comité des finances locales ayant permis d'aboutir à "un consensus quasi-complet sur les principes" de ce nouvel outil de péréquation horizontale. Ceci, tout en reconnaissant que c'est aujourd'hui, que l'on dispose de simulations, que l'on voit apparaître un certain nombre de "situations problématiques", dont celle désormais connue de villes défavorisées éligibles à la DSU qui risquent de devoir contribuer au FPIC (voir notre article du 8 novembre). "Dans ce cas, il va sans doute falloir travailler sur la solidarité intra-communautaire, dans le cadre du pacte financier et fiscal communautaire", a-t-il estimé. Si l'Assemblée nationale, a-t-il rappelé, a déjà souhaité améliorer les critères de calcul des reversements en ajoutant celui de l'effort fiscal, les choses pourront encore être ajustées, sachant que "le dispositif sera revu chaque année en loi de finances".

Les strates de la discorde

Or cette question des critères de calcul fait visiblement toujours débat. Michel Destot, venu représenter les grandes villes, s'est par exemple dit favorable à ce que l'on augmente encore le critère de l'effort fiscal. Et s'est, comme toujours, dit soucieux de la prise en compte des "contraintes et charges particulières qui pèsent sur les grandes villes". Un point de vue qui n'est évidemment pas neutre puisque c'est notamment lui qui a justifié la création des fameuses "strates" démographiques pour organiser les prélèvements et reversements du FPIC. Des strates que la commission des finances du Sénat, lors de son examen du PLF, a choisi de supprimer (voir notre article du 21 novembre).
Cette plénière du Congrès des maires a témoigné du fait que la question des strates oppose toujours élus urbains et élus ruraux. "D'accord il y a des charges de centralité dans les grandes villes. Mais dans les bourgs aussi !", a par exemple réagi le maire de Château-Thierry, qui a du mal à accepter que sa ville soit "ponctionnée de 80.000 euros". Dans la salle, les échos n'ont pas manqué : "Ma commune d'Alsace est en difficulté, or j'apprends qu'elle va être contributrice, ce n'est pas normal", "Dans le monde rural, nous avons des coûts supplémentaires, notamment en termes de réseaux, alors la stratification, c'est une sorte d'apartheid territorial !"… "Depuis que l'on dispose des simulations, on a des mécontents, forcément", tempère Philippe Laurent, maire de Sceaux et président de la commission des finances de l'AMF, ajoutant que les strates, "comme tout système avec effets de seuil, cela pose un moment problème". Que dire alors de la formule proposée par le Sénat ? Selon Charles Guené, "que l'on opte pour les strates ou pour un système de progression logarithmique, on aboutit en fait à peu près au même résultat". Et le sénateur de préciser : "Certes, le logarithme permettrait de gommer les effets de seuil. Sauf qu'on n'est pas sûr qu'il marche vraiment…" Bref, les collectivités vont devoir attendre encore un peu avant de connaître le sort qui leur sera réservé.

Agence de financement : "pas question que l'Etat s'y oppose"

C'est sur le volet du recours à l'emprunt que le ministre François Baroin a été le plus disert. Avec quelques mots vraisemblablement attendus sur la future Agence de financement des collectivités. Alors que plusieurs élus chuchotent volontiers que Bercy tend à bloquer le projet, le ministre de l'Economie a déclaré aux maires : "J'enregistre le projet d'agence de financement des collectivités soutenu par les associations d'élus. Il n'est pas question que l'Etat s'y oppose." La veille, le Premier ministre avait tenu à peu près le même discours (voir notre article du 22 novembre). François Baroin a également évoqué "l'avantage de disposer de trois types d'acteurs pour faire jouer la concurrence naturelle", les trois acteurs en question étant les banques classiques (qui doivent "poursuivre leurs activités auprès des collectivités"), la structure publique Caisse des Dépôts / Banque postale et, enfin, l'Agence. Il faut toutefois "laisser le temps à la structure publique de se mettre en place, pour voir quel espace elle occupera", a-t-il ajouté. François Baroin envisage ainsi un dispositif "en trois temps" : l'enveloppe de prêts sur fonds d'épargne pour la fin de l'année et début 2012, la mise en place du pôle public courant 2012 puis la création de l'agence en 2013.

Anticiper ?

Jacques Pélissard était préalablement revenu sur l'importance que revêt à ses yeux le projet d'agence, qu'il porte notamment avec Michel Destot et Gérard Collomb, y voyant "une démarche pionnière, volontariste" de la part des collectivités. L'amendement portant création de l'agence, déposé à l'Assemblée dans le cadre du PLF, ayant été écarté en vertu de l'article 40 de la Constitution, il va falloir "trouver un autre véhicule législatif", a-t-il relevé.
Pour sa part, François Baroin a souhaité alerter les maires sur un autre point : "Quoi qu'il arrive, il faut s'attendre à une diminution de la durée des prêts aux collectivités. Aujourd'hui, on atteint des durées de prêts à 20, 25 voire 30 ans… Demain, ce sera plutôt 15 ans. Concrètement, cela signifie qu'un maire ne pourra peut-être plus faire autant sur un seul mandat. Les choses se feront alors sur deux mandats. Il ne faut pas pour autant s'angoisser. Il faut juste anticiper…" Sauf que les interventions des élus en ont une nouvelle fois témoigné : du fait de l'accumulation des réformes financières, il leur devient précisément de plus en plus difficile d'anticiper. Il leur faut plutôt jouer aux équilibristes. L'un d'eux l'exprimera ainsi : "En ce moment, j'ai surtout l'impression d'être sur un fil tel un funambule…"

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