Qu'il soit national ou européen, le tropisme politique pour les villes est réel : le projet de loi sur les métropoles et les règlements européens sur la politique régionale placent le "fait urbain" en tête des priorités. A cette tendance s'ajoute la persistance d'une politique agricole commune tournée vers les exploitants, laissant peu de place au développement économique rural hors du secteur de l'agriculture.
Engluée dans la crise, l'UE est tentée "de se centrer sur quelques axes et cibles qui paraissent offrir plus d'efficacité". L'accent est mis, par exemple, sur la compétitivité, les métropoles, l'innovation, écrit Jean-Paul Denanot, président du conseil régional du Limousin, auteur d'un rapport présenté le 17 mai au sommet de l'Association des régions d'Europe. "Cela est légitime. Jusqu'à un certain point !", ajoute-t-il.
D'ici à 2020, l'UE se fixe une kyrielle d'objectifs en matière de développement des énergies renouvelables, de réussite scolaire ou de taux d'emploi. Or, le rôle des régions rurales pour atteindre ces objectifs semble être méconnu, regrette le rapporteur, dont les travaux ont été menés conjointement avec huit autres régions européennes et la fondation rurale de Wallonie.
Certes, les régions rurales disposent de leur propre outil, le Feader, qui correspond à un volet de la PAC, le "deuxième pilier". Mais 90% des 7,6 milliards d'euros disponibles en France pour 2007-2013 vont aux agriculteurs (modernisation des équipements, des bâtiments, aides à l'installation, formations professionnelles...) ou encore aux industries agro-alimentaires.

"Les agriculteurs vont se retrouver au milieu d'un désert"

C'est un choix politique, car le gouvernement a la possibilité de modifier ce ratio. "Les agriculteurs demandent à bénéficier du 2e pilier, ce n'est pas dans leur intérêt, ce n'est l'intérêt de personne, insiste Jean-Paul Denanot. Ils vont se retrouver au milieu d'un désert, ils auront des hectares, mais pas de voisins, pas d'écoles, pas de vie économique et sociale."
La prochaine réforme de la PAC prévoit une certaine flexibilité : une partie du deuxième pilier (développement rural) peut être transférée vers les fonds du premier pilier (subventions directes). Le contraire est également possible, mais la France n'est pas du tout dans cette logique, contrairement à la Suède ou la Finlande.
Sur les 8 milliards d'euros dédiés au développement rural des régions françaises pour 2014-2020, 15%, voire 25% pourraient passer aux mains du premier pilier, s'inquiète le président du Limousin, diminuant de fait la marge de manœuvre financière des activités non agricoles. Le seuil en question continue de faire l'objet de discussions entre les Etats, qui sont censés boucler la réforme de la PAC en juin.
En attendant, la réforme de la décentralisation est susceptible de donner plus de lest aux patrons de régions. Grâce au transfert de gestion du Feader, les élus pourront réfléchir à une nouvelle répartition. "Consacrer 10% du Feader" au développement rural non agricole "est un minimum". "Il est indispensable d'aller plus loin", réagit Jean-Paul Denanot.

Santé, numérique, formation

Car les domaines d'activités à développer ne manquent pas, qu'il s'agisse des énergies renouvelables, du numérique ou encore des services de santé. Depuis plus de dix ans, le Limousin mène une politique originale pour inciter de nouvelles populations à venir s'installer dans la région, dont le président aime à dire qu'elle recèle "d'aménités".
Ces efforts auraient peu de sens sans une offre adéquate de services publics. "On ne pourra pas maintenir des gens sans couverture de santé sur un territoire. Nous avons pris conscience que c'est le problème numéro un à régler", estime Jean-Paul Denanot, qui a développé des "maisons pluridisciplinaires" accueillant les patients et financées par la région et l'UE.
Le maintien de l'offre scolaire est un autre combat : "Cela fait partie des conflits assez lourds que j'ai eus avec le précédent recteur, qui voulait fermer des établissements. C'était hors de question, exclut-il. Je considère qu'il faut pouvoir avoir une formation de proximité, au moins jusqu'au bac."
Le désenclavement des zones rurales passe aussi par le déploiement du numérique. "Le monde rural aura du mal à être desservi par la route, le rail, l'air, mais on ne peut pas imaginer un monde rural qui ne soit pas équipé en très haut débit", alerte l'élu.
La Commission européenne est cependant réticente à l'idée que les régions françaises puissent utiliser des fonds structurels pour la construction de ce type d'infrastructures. Reste les prêts de la Banque européenne d'investissement. "La BEI est prête à aider, admet Jean-Paul Denanot, et avec des taux très avantageux. Mais rien que dans le Limousin, qui est une petite région, le déploiement du réseau de fibres optiques coûte un milliard d'euros. S'il y a des subventions, c'est possible, si on doit les rembourser, c'est impossible."

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