L’ordonnance - prise sur le fondement de l’habilitation insérée à l’article 248 de la loi Climat et Résilience - relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte est parue ce 7 avril. Elle s’inscrit dans le prolongement des dispositions donnant aux territoires littoraux un cadre et des leviers d'actions pour adapter leur politique d'aménagement à l'érosion côtière déjà inscrites dans le dur de la loi (aux articles 236 à 250) avec l’objectif de renforcer les outils d’intervention foncière des collectivités ou d’autres acteurs publics ou parapublics capables d’accompagner la recomposition des secteurs menacés.
Un petit mois s’est écoulé suite à la mise en consultation du projet d’ordonnance (lire notre article du 4 mars 2022) contraignant le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) à examiner le texte dans l’urgence à l’instar du projet de décret relatif aux zones de protection forte (ZPF) lui aussi instruit au pas de charge (lire notre article du 9 février 2022) Une méthode unanimement décriée par les représentants des élus devenue monnaie courante en cette fin de mandature. "En dépit de la concertation préalable menée par le ministère de la Transition écologique, les délais d’élaboration du texte n’ont pas été de nature à permettre un travail de fond suffisant tant sur la rédaction du projet de texte qui n’a pu être consolidé que début mars 2022 que sur l’analyse des impacts techniques et financiers réels induits par la réforme", déplore l’instance consultative. Et curieusement le Conseil national de la mer et des littoraux (CNML) "qui est pourtant l’instance de dialogue et de réflexion stratégique des politiques publiques en cause", n’a pas eu voix au chapitre. Le ministère se retranche de son côté derrière la durée d’habilitation "de seulement neuf mois". 

Méthode d'évaluation des biens exposés

Pour sécuriser, encadrer et mobiliser pleinement les outils de maîtrise foncière publique, le texte définit tout d'abord une méthode d'évaluation des biens les plus exposés, à horizon de trente ans. 

Cette méthode a vocation à s’appliquer dans le cadre de la procédure du droit de préemption spécifique créé par la loi Climat et Résilience (art.1er de l'ordonnance) mais également à l'occasion de la détermination des indemnités en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (art.2). La valeur d'un bien immobilier sera en priorité déterminée "par comparaison", au regard des références locales entre biens de même qualification et situés dans la même zone d'exposition à l'érosion (zéro à trente ans). A défaut, une décote proportionnelle à la durée de vie résiduelle estimée pourra être appliquée à la valeur du bien estimée hors zone d'exposition au recul du trait de côte. Le texte fait en revanche fi de la condition fixée par l’article d’habilitation de prendre en compte "l'état des ouvrages de protection et les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte", s’étonne le CNEN. 

L'ordonnance inclut des mesures de coordination, notamment pour les biens potentiellement exposés à un risque naturel majeur et pouvant prétendre aux mécanismes d’indemnisation du Fonds Barnier (art.3) ou pour les biens faisant l’objet d’une démarche de régularisation dans les espaces urbains de la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) en Guadeloupe et Martinique (art.8). Certaines précisions visent également à consolider le cadre du nouveau droit de préemption (art.1) et à compléter le dispositif des réserves foncières, en indiquant explicitement qu'il peut être mobilisé par l'Etat, les collectivités locales ou leurs groupements, ou les établissements publics y ayant vocation en vue de prévenir les conséquences du recul du trait de côte (art.4). 

Nouveau bail réel d'adaptation au changement climatique

S’inspirant du bail réel immobilier "littoral" (BRILI) - avancé dans le cadre des propositions de loi  dites "Got" puis "Vaspart" - l’ordonnance (art.5) crée un bail réel d’adaptation au changement climatique (BRACC) qui pourra être conclu dans les zones exposées au recul du trait de côte pour une longue durée, entre 12 et 99 ans, en fonction des échéances de l'opération d'aménagement si elles sont connues, et surtout de l'espérance de durée de vie du terrain d'assiette, compte tenu des évolutions prévisibles du trait de côte. L'outil comprend un mécanisme de résiliation anticipée au regard de l’évolution de l’érosion et déclenché par une décision de l’autorité publique (arrêté du maire ou du préfet), pour faire cesser la mise à disposition des biens concernés si la sécurité des personnes et des biens ne peut plus être assurée. En outre, il est précisé qu’afin de prendre en compte les conditions d’acquisition du bien et de permettre le financement des opérations de renaturation à terme, qui reviennent au bailleur, le preneur s’acquittera d’un prix à la signature du bail et d’une redevance pendant sa durée. A l'instar des autres baux réels de longue durée existants, ce bail sera cessible. Cependant, un encadrement des prix de cession est prévu pour prévenir des situations où les droits réels seraient cédés à une valeur disproportionnée au regard de la durée de vie du bien.
Pour le CNEN, le parti pris du ministère de faire peser sur le bailleur, c’est-à-dire potentiellement sur la collectivité territoriale, "le cas échéant, la démolition de l'ensemble des installations, des constructions ou des aménagements, y compris ceux réalisés par le preneur, et les actions ou opérations de dépollution nécessaires", est largement contestable. Le ministère y voit "un modèle économique viable" de nature à assurer le financement de la renaturation du terrain, "puisque en contrepartie de cette charge une redevance foncière sera versée par le preneur".
Notons que le texte (art.6) prévoit également une mesure d'articulation avec l'obligation de démolition pour les nouvelles constructions en zone 30-100 ans prévue à l’article L. 121-22-5 du code de l’urbanisme. Cette obligation ne sera pas applicable pour les biens et travaux prévus dans un BRACC, le cadre contractuel prévoyant précisément le financement des actions ou opérations de renaturation, y compris le cas échéant de démolition et dépollution. 

Dérogations exceptionnelles à la loi Littoral

Enfin, l’ordonnance ouvre la possibilité, pour les communes incluses dans le régime spécifique au recul du trait de côte, de déroger à certaines règles de la loi Littoral, notamment à l’obligation de construire en continuité de l’urbanisation existante, lorsque ces dispositions empêchent la mise en œuvre d’une opération de relocalisation de biens ou d’activités menacés dans des espaces plus éloignés du rivage, moins soumis à l'aléa du recul du trait de côte (art.7). Ces possibilités de dérogations sont strictement encadrées, et notamment conditionnées à la conclusion d’un projet partenarial d’aménagement (PPA), qui pourrait bien selon le Cnen "annihiler les marges de manœuvre que le législateur a souhaité donner aux collectivités territoriales pour la mise en œuvre des projets de relocalisation durable des constructions situées dans les zones d’exposition au recul du trait de côte". Le risque étant de faire des PPA "de simples contrats d’adhésion à la main de l’État", relève-t-il. Et les dérogations pourraient donc en pratique "s’avérer inexistantes", selon lui. D’autant qu’un autre outil contractuel mériterait à ses yeux d’être davantage exploité, à savoir la stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte qui - aux termes de l’article 237 de la loi Climat et Résilience - peut être établie à l'initiative des communes et fait l’objet d’une convention conclue avec l’État, et le cas échéant, avec les collectivités territoriales concernées et leurs groupements. "Ce cadre aurait pu être mobilisé pour permettre à l’État d’accompagner financièrement les collectivités territoriales et d’apporter son ingénierie en appui de ces dernières", estime le Cnen. 

Des outils mais quid du financement ?

"(…) Aucune évaluation financière des indemnisations liées aux préemptions, aux expropriations, aux ruptures anticipées de baux, aux dépollutions, ou encore aux travaux effectués pour permettre les relocalisations induites par les nouveaux zonages", déplore le Cnen, alors que la plupart de ces opérations "sont de nature à générer des charges supplémentaires substantielles pour les collectivités territoriales, ainsi que des contentieux". L’inquiétude est donc palpable chez les maires sachant que "dans certaines communes, des quartiers entiers seront concernés". Ils assistent impuissants à un "transfert de charges et de responsabilité de l’État vers les communes en matière de gestion du risque lié au recul du trait de côte", déplore le Cnen.
Le ministère reconnaît que l’objet de l’ordonnance "n’est pas de créer de nouveaux canaux de financement au profit des collectivités territoriales concernées", mais bien de créer une boite à outils, "sans générer directement de contraintes supplémentaires"...L’Etat s’est engagé sur un certain nombre de dispositifs de soutien, rappelle-t-il, parmi lesquels le financement de la cartographie à hauteur de 80%. Par ailleurs, dans le cadre des trois premiers PPA, l’enveloppe de 10 millions d’euros, déjà dégagée sera complétée d’une somme supplémentaire de 5 millions d’euros "qui pourra évoluer à la hausse à court ou à moyen terme". Les établissements publics fonciers (EPF) locaux et d’État joueront leur rôle d’appui aux collectivités dans la définition de leurs projets et en favorisant l’optimisation du foncier sur les territoires, via la taxe spéciale sur l’équipement, fait encore valoir le ministère. 

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