Après en avoir exposé les grandes lignes le 21 juin dernier (lire ci-dessous notre article du 22 juin 2017), les sénateurs Hervé Maurey (Union centriste-Eure) et Louis Nègre (LR-Alpes Maritimes) ont présenté ce 6 septembre leur proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs qu’ils comptent déposer "dans les tous prochains jours".
Pour les deux parlementaires, le calendrier fixé par le quatrième paquet ferroviaire adopté en décembre 2016 est en effet "contraint". Les services conventionnés (TER et trains d’équilibre du territoire-TET plus connus sous le nom d’Intercités) devront être ouverts à la concurrence dès le 3 décembre 2019. Pour les services commerciaux (TGV), cette libéralisation devra être prévue par la loi à partir du 1er janvier 2019, pour une application effective à partir de 2021, ont-ils rappelé. Selon eux, il est donc "indispensable de définir le cadre de cette libéralisation au plus tôt, pour permettre aux différents acteurs, dont la SNCF de s’y préparer dans les meilleures conditions". A défaut, estiment-ils, "le transport ferroviaire pourrait en être fragilisé, comme cela a été le cas lors de la libéralisation du fret".
"Faire avancer le dossier"
Même si le gouvernement a annoncé que la mise en œuvre de la libéralisation du transport ferroviaire figurerait dans le futur projet de loi sur la mobilité annoncé pour le premier semestre 2018, les sénateurs craignent que le calendrier parlementaire ne permette pas une adoption définitive de ce texte avant le milieu de l’année prochaine. Une échéance trop tardive à leurs yeux. "Nous ne voulons pas court-circuiter le gouvernement, a expliqué Hervé Maurey, qui préside la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. Nous voulons simplement faire avancer le dossier pour tenir les délais et nous sommes tout à fait disposés à dialoguer avec le gouvernement sur ce texte. Cette proposition de loi pourra d’ailleurs être enrichie lors des débats parlementaires. Nous souhaitons qu'elle soit adoptée d'ici la fin de l'année". "Nous sommes vigilants sur le calendrier de la réforme, a insisté Hervé Maurey. Nous voulons éviter tout retard, tout recul ou tout renoncement qui compromettrait l’ouverture à la concurrence." Car selon les deux sénateurs, il s’agit là d’une "véritable chance pour le système ferroviaire" et pour "sauver le soldat SNCF", selon la formule de Louis Nègre. Les deux parlementaires en attendent une "amélioration de la qualité du service et une réduction de ses coûts au profit des usagers".
Modalités de l'ouverture à la concurrence
La proposition de loi, qui a été rédigée à l’issue de plusieurs mois d’auditions et d’une phase de consultation des parties prenantes, comporte en tout 15 articles répartis en trois chapitres. Le premier chapitre fixe les dates et les modalités de l’ouverture à la concurrence. Pour les services conventionnés (TER et TET), l’obligation de mise en concurrence à partir du 3 décembre 2019 produira ses effets de façon progressive, lorsque les conventions signées avant cette date entre les autorités organisatrices et SNCF Mobilités arriveront à leur terme. Mais les régions volontaires, de même que l’État pour les TET, pourront ouvrir à la concurrence tout ou partie des services ferroviaires qu’ils organisent dès le 3 décembre 2019 en le prévoyant dans leurs conventions avec SNCF Mobilités, comme s’y sont déjà engagées les régions Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, Pays de la Loire et Provence-Alpes-Côte d’Azur. "Ce dispositif leur permettra de tirer les leçons des premières expériences d’ouverture à la concurrence avant sa généralisation obligatoire", soulignent les sénateurs.
Les régions et l’État auront le choix de conclure soit des contrats de concession, soit des marchés publics. La proposition de loi interdit expressément les dérogations à l’obligation de mise en concurrence prévues par le quatrième paquet ferroviaire, que les États membres ont le choix de retenir ou non dans leur droit national. Seule la régie, qui figure déjà dans le code des transports, est autorisée.
Concernant les services non conventionnés (TGV), les sénateurs affirment avoir voulu éviter que l’ouverture totale à la concurrence conduise à la disparition de liaisons moins rentables ou déficitaires mais indispensables à l’aménagement du territoire. La proposition de loi prévoit donc que l’État, en tant qu’autorité organisatrice de transport, accordera des droits exclusifs aux entreprises ferroviaires pour l’exploitation des services de transport ferroviaire à grande vitesse, en contrepartie de la réalisation d’obligations de service public définies en fonction des besoins d’aménagement du territoire. Ces contrats seront attribués pour une durée limitée, à l’issue d’une mise en concurrence. En outre, conformément au droit européen, les entreprises ferroviaires auront un droit d’accès au réseau pour proposer des services librement organisés, mais à la condition que ces services ne soient pas susceptibles de compromettre l’équilibre économique d’un contrat de service public. "L’open access imposé par l’Union européenne pourrait ainsi, de fait, être limité", estiment les sénateurs. Ces deux dispositifs devront être pleinement opérationnels à partir du 14 décembre 2020. D’ici là, le monopole de SNCF Mobilités sur ces services sera préservé, de façon transitoire.
Accès aux données, transferts des personnels
Le deuxième chapitre du texte entend lever les obstacles à une ouverture effective du marché. Pour permettre un accès des autorités organisatrices aux données nécessaires à la préparation des appels d’offres, la proposition de loi veut imposer à SNCF Mobilités de leur fournir, à leur demande, toute information relative à l’exécution des missions relevant d’un contrat de service public, sans que puisse y faire obstacle le secret industriel et commercial. L’opérateur historique devra par exemple fournir les données relatives aux personnels employés pour l’exécution du service ou aux matériels roulants utilisés (valeur nette comptable, historique de leur état et des opérations de maintenance effectuées, etc.). De son côté, l’autorité organisatrice devra prendre les précautions nécessaires pour empêcher que des tiers non autorisés aient accès aux données couvertes par le secret industriel et commercial. "Ce dispositif contraignant a été conçu pour éviter que le secret industriel et commercial, aussi légitime soit-il, puisse être invoqué par l’opérateur historique pour refuser la transmission d’informations pourtant indispensables aux autorités organisatrices", soulignent les sénateurs, déplorant au passage que la SNCF ne leur ait pas fourni lors des préparatifs du texte, les réponses au questionnaire qu’ils lui avaient soumis.
Pour éviter toute contestation, de la part de SNCF Mobilités, du bien-fondé des demandes d’informations faites par les autorités organisatrices, un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), établira une liste minimale d’informations qu’une autorité organisatrice sera en droit d’obtenir. L’Arafer pourra en outre prononcer des sanctions en cas de manquement de SNCF Mobilités à ces obligations. Un dispositif similaire est prévu pour SNCF Réseau. Ces mesures entreront en vigueur dès la publication de la loi, pour permettre aux autorités organisatrices de préparer leurs appels d’offres.
Les autorités organisatrices devront, quant à elles, fournir aux candidats aux appels d’offres toutes les informations nécessaires à la préparation de leur dossier de candidature, pour qu’ils aient un accès équitable à ces données. Là encore, pour établir un cadre homogène et éviter la multiplication des litiges, un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Arafer, déterminera un
socle minimal d’informations à fournir aux candidats.
La proposition de loi fixe aussi les conditions du transfert des salariés de SNCF Mobilités vers les entreprises ferroviaires qui auront été choisies, après appel d’offres, pour assurer l’exploitation de services de transport ferroviaire. Le périmètre des salariés requis pour l’exploitation du futur service à transférer sera arrêté par les régions et l’État, en tant qu’autorités organisatrices de transport. Seront en priorité transférés les salariés volontaires pour rejoindre l’entreprise ferroviaire entrante. Si le nombre de salariés volontaires est inférieur à celui arrêté par les autorités organisatrices, le transfert des salariés restants sera obligatoire.
La proposition de loi garantit à l’ensemble des salariés transférés, qu’ils soient régis par le statut du groupe public ferroviaire ou contractuels, le bénéfice d’une rémunération annuelle au moins égale à leur rémunération antérieure et de leurs facilités de circulation. Par ailleurs, les salariés régis par le statut conserveront leur garantie d’emploi ainsi que leurs droits à la retraite, sous réserve de l’évolution du régime de retraite des agents de la SNCF.
Si, à l’issue de ce transfert, l’exploitation du service est de nouveau assurée par SNCF Mobilités, les salariés qui étaient régis par le statut avant leur premier transfert pourront réintégrer le statut. Les salariés contractuels recrutés par l’entreprise ferroviaire avant ou pendant l’exploitation du service seront repris par SNCF Mobilités en tant que salariés contractuels.
Matériels roulants, ateliers de maintenance et statut des gares
Concernant les matériels roulants, les autorités organisatrices seront libres de déterminer l’option la plus adaptée (par exemple, la mise à disposition des matériels par l’autorité organisatrice, la location des matériels, l’engagement de l’autorité organisatrice à reprendre les matériels à la fin du contrat, etc.).
La proposition de loi réaffirme en outre le caractère automatique du transfert de la propriété des matériels roulants utilisés dans le cadre d’un contrat de service public, à la demande de l’autorité organisatrice compétente. Comme pour les matériels roulants, les autorités organisatrices qui le souhaitent pourront récupérer la propriété des ateliers totalement ou majoritairement affectés à l’entretien des matériels roulants utilisés dans le cadre d’un contrat de service public.
L’ouverture à la concurrence impose également de séparer Gares et Connexions de SNCF Mobilités, afin de garantir un accès transparent et non discriminatoire des entreprises ferroviaires aux gares. En conséquence, la proposition de loi prévoit de transformer cette entité en société anonyme à capitaux publics, filiale de l’établissement public industriel et commercial (EPIC) "de tête" SNCF. Le conseil d’administration de la future société anonyme sera composé de représentants de l’État et de personnalités qualifiées choisies par celui-ci, de personnalités choisies par la SNCF pour la représenter et de représentants des salariés.
Afin de garantir l’indépendance de Gares et Connexions vis-à-vis de SNCF Mobilités et des autres entreprises ferroviaires, la proposition de loi prévoit plusieurs garde-fous, en particulier une incompatibilité des fonctions de membre de son conseil d’administration avec celles de membre du conseil de surveillance, du conseil d’administration ou de dirigeant d’une entreprise ferroviaire ainsi que la possibilité, pour l’Arafer, de s’opposer à la nomination du président du conseil d’administration de Gares et Connexions si elle estime que son indépendance vis-à-vis d’une entreprise ferroviaire n’est pas assurée.
La proposition de loi dispose enfin que, dans un délai d’un an à compter de la transformation du gestionnaire de gares en société anonyme, un accord doit être conclu entre Gares et Connexions et SNCF Mobilités afin d’assurer le transfert des personnels de SNCF Mobilités qui assurent actuellement des services et prestations en gare vers Gares et Connexions. Ce transfert devra prioritairement concerner le personnel de SNCF Mobilités assurant des prestations dans les grandes gares nationales dites "multi-transporteurs". À défaut d’accord, les modalités de ce transfert seront déterminées par voie réglementaire.
La proposition de loi autorise aussi l’État à imposer à l’ensemble des entreprises ferroviaires exploitant des services de transport de voyageurs de participer à un système commun d’information des voyageurs et de vente de billets, pour permettre à l’usager d’acheter un billet unique, même lorsque la prestation de transport est assurée par plusieurs opérateurs. En parallèle, l’État devra veiller à ce que les entreprises ferroviaires facilitent la vente de leurs services sur les plateformes de vente en ligne.
Abrogation de certaines dispositions du code des transports
Enfin, le chapitre III comporte plusieurs mesures destinées à tirer les conséquences de la suppression du monopole de SNCF Mobilités et de l’évolution du statut de Gares et Connexions. Dans ce cadre, plusieurs dispositions du code des transports impliquant les régions seront abrogées à partir du 3 décembre 2019. C’est le cas par exemple de l’article L.2121-4 qui prévoit la signature d’une convention entre autorité organisatrice régionale et SNCF Mobilités pour définir les conditions d’exploitation et de financement des services ferroviaires relevant de la compétence régionale et dont le contenu est déterminé par décret en Conseil d’Etat. Cette disposition, qui était justifiée par la situation de monopole de SNCF mobilités, ne le sera plus dans le cadre de la libéralisation et il reviendra aux régions de définir le contenu de leur contrat de concession ou de leur marché public. Pour les mêmes raisons, indique l’exposé des motifs du texte, le second alinéa de l’article L. 2121-6, qui prévoit la signature d’une convention d’exploitation particulière avec SNCF Mobilités lorsqu’une liaison se prolonge au-delà du ressort territorial de la région, et le dernier alinéa de l’article L. 2121-7, qui prévoit une convention passée entre un groupement européen de coopération territoriale et SNCF Mobilités pour la réalisation de services ferroviaires régionaux transfrontaliers, n’ont plus lieu d’être. De la même manière, l’article L. 2121-8-1, qui dispose que "lorsqu’un service d’intérêt régional fait l’objet d’une convention avec SNCF Mobilités, SNCF Mobilités ouvre à l’autorité
organisatrice compétente l’ensemble des données qui décrivent ledit service, notamment les arrêts et les horaires planifiés et temps de trajet réels des trains, ainsi que les parcs de stationnement dont elle a la responsabilité, pour intégration dans les services d’information du public mentionnés à l’article L. 1231-8", ne se justifie plus, dans la mesure où les régions pourront prévoir de telles dispositions dans leur convention.
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