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307%, c’est l’évolution du montant des levées de fonds du marché de la LegalTech entre 2017 et 2019. Les tours de table ont bondi de 12,8 millions à 52,1 millions d’euros en l’espace de trois ans. Malgré cette accélération fulgurante, le marché de la LegalTech peine encore à se structurer. Car au-delà de l’évolution, les chiffres eux-mêmes montrent que le secteur ne séduit pas encore totalement les investisseurs. À titre comparatif, la plateforme de prise de rendez-vous médicaux Doctolib (qui fait figure de modèle pour de nombreuses startups a récolté à elle seule plus de 150 millions d’euros en 2019, soit presque trois fois plus que tout le secteur de la LegalTech la même année. D’ailleurs, seulement 19 startups ont levé plus de 71% des fonds de la LegalTech en 2019, prouvant ainsi que le secteur se structure autour de quelques mastodontes comme LegalStart, Predictice, Hyperlex, Testamento, Quai des Notaires ou encore FoxNot. Dans le même temps, 57% des startups du droit n’ont jamais levé de fond.

 

Plus étonnant, près de 80% des investisseurs sont étrangers au monde du droit : banque, business angels ou encore fonds d’investissement se répartissent le marché de la LegalTech française. Les professionnels du droit ne représentent ainsi que 5,3% des investisseurs selon le baromètre de Wolter Kluwer et Maddyness. Thomas Rivoire, cofondateur des plateformes LegaLife.fr et Unlatch explique : “Certains professionnels du juridique comme des grandes études parisiennes ou des cabinets d’avocat investissent dans les startups de la LegalTech parce que ça leur permet d’avoir un pied dans le milieu et de suivre les innovations et les évolutions du marché. Ils mettent un petit ticket sur un projet qu’ils connaissent pour apporter leur soutien mais aussi pour pouvoir anticiper ce qui va arriver sur le marché demain”. Leur participation reste cependant marginale pour la simple et bonne raison que financer des entreprises et générer de la croissance, c’est un métier à part entière, selon l’entrepreneur qui a fait appel à Axa Venture Partners pour sa levée de fonds. “Même si vous êtes un gros acteur juridique, vous ne pouvez pas mettre plusieurs millions d’euros sur la table si vous n’avez aucune connaissance des méthodes d’investissement. C’est pour ça que la majorité des levées de fond dans la LegalTech sont faites par des acteurs traditionnels du venture français qui sont des fonds d’investissement”, dit-il. Si les acteurs du monde du droit investissent peu dans la LegalTech, leur intérêt pour le secteur est néanmoins incontestable. Il est d’ailleurs judicieux pour une bonne structuration du marché et des services LegalTech que les professionnels du droit s’emparent du sujet, car eux seuls connaissent conjointement leurs besoins et ceux des justiciables.

Des barrières pour freiner le développement des LegalTech

Le marché peine à se structurer et ce pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les solutions innovantes développées par la LegalTech ne répondent pas toujours aux problématiques prioritaires des professions juridiques. Celles-ci vont d’abord chercher à solutionner leurs plus gros points de blocage et ne vont donc pas chercher à digitaliser leurs activités outre mesure, bien que les outils proposés disposent d’atouts intéressants. De plus, le secteur juridique n’est pas épargné par la crise et l’heure est plutôt à la réduction des frais pour les études et les cabinets. C’est d’autant plus vrai que de nombreuses structures nécessitent l’accord de l’ensemble des associés pour pouvoir faire évoluer leurs outils de travail. Il suffit qu’un associé y soit réfractaire pour que l’adoption de ces nouveaux outils soit impossible. 

Si l’adoption des LegalTech ne s’est pas encore généralisée, c’est aussi parce qu’il existe des réticences de la part des professionnels à digitaliser leurs services. Les barrières réglementaires qui régissent le monde du droit commencent tout juste à être assouplies. En 2015, la loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances », qui a entériné le système de compétence territoriale limitée contraignant par exemple le métier d’Huissier de Justice a ouvert la voie. Mais les professionnels du droit (huissiers, notaires, ou encore greffiers) font parfois preuve d’une certaine méfiance vis-à-vis de la LegalTech. En effet, la digitalisation apparaît comme une rupture conséquente pour ces acteurs.

Comme le montre le Village de la Justice, il n’est pas rare d’entendre que « les professions du droit vont disparaître » à cause de leur digitalisation. Une position symptomatique qui montre la présence d’une barrière psychologique compréhensible pour une profession discrète, ancrée autour du secret professionnel. Il n’est donc pas étonnant que le partage d’informations sensibles en ligne puissent poser problème. Malgré tout, Julien-David Nitlech, partner chez Iris Capital, détaille sa vision optimiste du marché au journal Les Echos : « Nous pensons que le potentiel est énorme. La pertinence technologique est là, mais il faut éduquer les clients. Nous investirons quand nous percevrons une accélération dans l'adoption. » Il dépendrait donc des professionnels de s’approprier la digitalisation de leurs métiers pour en structurer le marché et ainsi convaincre leurs clients de suivre le mouvement. Ils auraient notamment l’opportunité de décider collectivement de la place du big data ou de l’intelligence artificielle dans leurs professions.

Une structuration autour des enjeux de cybersécurité ?

La LegalTech répond à deux besoins intimement liés pour les justiciables comme pour les professionnels : faciliter l’accès au droit tout en rationalisant les coûts à l’aide des nouvelles technologies. Mais les entreprises elles aussi peuvent décider de digitaliser leur service juridique. L’intérêt pour elles est notamment de limiter les risques liés à la cybersécurité en tirant profit de technologies et d’habitudes professionnelles plus sécurisées. « Les directions juridiques sont parmi les départements encore les moins transformés par la digitalisation, alors que les LegalTech surgissent partout pour venir accompagner ce département encore trop peu digitalisé, explique Liam Healy, Managing Director EMEA chez Diligent Corporation, au magazine Le Monde du Droit. Avant d’ajouter : “que ce soit pour limiter les impressions de documents papier à signer, le partage d’emails et fichiers excels non sécurisés ou des intranets qui ne permettent pas de travailler correctement avec des parties prenantes externes, la direction juridique doit, pour son bien et celui de son entreprise, sauter le pas de la digitalisation. »

La question de la confiance numérique est également un élément déterminant qui peut favoriser ou au contraire ralentir la digitalisation des métiers juridiques. Le respect des obligations en matière de sécurité et de confidentialité par les startups du droit est primordiale. Un outil mal conçu, peu sécurisé ou régulièrement inaccessible en raison de problèmes techniques par exemple découragerait les usagers les plus friands d’innovation. Si elles veulent faciliter leur adoption, les LegalTech doivent se montrer irréprochables pour gagner la confiance de leurs usagers. Il est aussi de leur responsabilité de rassurer leurs usagers sur leur pérennité dans le temps. 

Un marché porté par les professionnels

Les entreprises sont les partenaires privilégiés des LegalTech. Le service le plus plébiscité est en effet la digitalisation des processus métiers (19,1%). De plus, 36% des startups du droit enregistrent des activités de rédaction d’actes et de documents juridiques en BtoB ou BtoC. Des startups comme Hyperlex sont par exemple tournées exclusivement vers le monde entrepreneurial, se détournant entièrement du marché des particuliers. L’ambivalence du marché des LegalTech, partagé d’un côté par les services aux entreprises et de l’autre l’assistance et le conseil aux particuliers renforce la difficile structuration du secteur. Pour relier les deux hémisphères, les professionnels peuvent décider de s’emparer du marché pour en accompagner la construction et guider la LegalTech vers de nouveaux horizons.

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