C'est une véritable frénésie d'inscription des boissons alcoolisées au "patrimoine culturel et gastronomique protégé en France" qui semble avoir saisi le Parlement. Cet élan patriotique se cristallise autour du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, en cours d'examen en seconde lecture par l'Assemblée nationale.
La bouteille de Pandore
Lors du passage du texte au Sénat, en avril, Roland Courteau - sénateur (PS) de l'Aude - avait déjà fait adopter un amendement prévoyant que "le vin, produit de la vigne, et les terroirs viticoles font partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager protégé de la France" (voir l'encadré sous notre article ci-contre du 16 avril 2014).
Cette première inscription a manifestement ouvert la bouteille de Pandore. Entre-temps, Pierre Decool, député (UMP) du Nord, et 80 de ses collègues ont en effet déposé, le 2 juillet, une proposition de loi prévoyant également l'inscription de la bière au "patrimoine culturel et gastronomique protégé en France" (voir notre article ci-contre du 8 juillet 2014). Mais le groupe UMP s'est fait prendre de vitesse par la commission des affaires économiques de l'Assemblée. Lors de l'examen du projet de loi Agriculture, celle-ci a en effet adopté un amendement inscrivant au patrimoine culturel et gastronomique protégé "les bières issues de traditions locales". Et, pour faire bonne mesure, elle y a ajouté "les boissons spiritueuses" (cognac, armagnac, rhum, liqueurs, eau-de-vie...). Lors du débat en séance, Stéphane Le Foll, le ministre de l'Agriculture, a d'ailleurs pris soin de préciser que cette définition comprenait également le calvados, l'hydromel, le chouchen et la chartreuse...
Dernier épisode - pour l'instant - : le 8 juillet, l'Assemblée a adopté, après nouvelle rédaction par le gouvernement, un amendement de Thierry Benoît, député (UDI) d'Ille-et-Vilaine, qui ajoute à cette liste déjà longue "les cidres et les poirés".
Patrimoine versus santé publique
On rappellera pourtant que cette notion de "patrimoine culturel et gastronomique protégé" n'a pas vraiment de portée juridique et pratique. Mais elle possède une dimension symbolique qui n'a pas échappé aux parlementaires des terroirs concernés. Cet adoubement patrimonial peut en effet se révéler bien utile face à des campagnes de prévention jugées trop "agressives" ou à des tentatives des défenseurs de la santé publique de lutter contre la consommation chez certaines groupes de population (jeunes, femmes enceintes...).
Les défenseurs de la santé publique - qui ne goûteront sans doute pas la manœuvre - ne devraient pas manquer de suggérer de remplacer cette longue énumération qui n'oublie aucune boisson alcoolisée par une formulation plus simple, comme "l'alcool fait partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé en France".
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence : projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt (adoption en deuxième lecture par l'Assemblée nationale prévue le 10 juillet 2014).
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