En présentant les grandes lignes de son projet de loi, le 15 octobre dernier, le ministre de l'Economie avait laissé entendre qu'il envisageait "des mesures de simplification radicale" pour l'urbanisme commercial, sans en dire davantage. Enfin, on en sait plus. Le texte, envoyé au Conseil d'Etat, ne sera présenté officiellement en Conseil des ministres que le 10 décembre. Mais il a déjà été mis en ligne, lundi, par la Fédération nationale des unions de jeunes avocats.
Le projet de loi repose sur le même postulat que le fameux rapport Attali de 2008, auquel Emmanuel Macron avait apporté sa contribution : plus de concurrence égale baisse des prix et augmentation du pouvoir d'achat. Pour y parvenir, Emmanuel Macron entend donner plus de pouvoir à l'Autorité de la concurrence afin qu'elle traque les abus de positions dominantes, les phénomènes de concentration. Elle se verra ainsi donner un pouvoir d'"injonction structurelle", comme c'est déjà le cas en Outre-Mer depuis une loi de 2012. L'objectif était de faire baisser les prix bien supérieurs à ceux de la Métropole.
Plus de concurrence
"En cas d'existence d'une position dominante et de la détention par une entreprise ou un groupe d'entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail d'une part de marché supérieure à 50% (...), l'Autorité de la concurrence peut faire connaître ses préoccupations de concurrence", est-il indiqué dans ce projet de loi intitulé "Pour la croissance et l'activité". Si les mesures prises par l'enseigne ne lui conviennent pas, l'autorité pourra, sur "décision motivée", lui "enjoindre de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé qui ne peut excéder deux mois, tous accords et tous actes par lesquels s'est constituée la puissance économique qui permet les pratiques constatées en matière de prix ou de marges". Ce qui peut aller jusqu'à la cession d'actifs.
On pourrait donc penser qu'il s'agit de s'attaquer à une certaine forme de "rente" de la distribution, puisque la lutte contre les rentes des professions réglementées est précisément ce qui a motivé ce projet de loi. Mais l'Autorité de la concurrence pourra également se saisir des projets de documents d'urbanismes ou de leur modification : Scot, PLU, Sdrif… Elle pourra alors juger de la prise en compte suffisante du respect de la concurrence. L'objectif affiché, qui apparaît clairement dans l'étude d'impact, est de favoriser la liberté d'installation. C'est d'ailleurs le maître-mot de ce texte fourre-tout. A rebours du constat de plus en plus précis dressé notamment par Procos (la fédération pour l'urbanisme et le développement du commerce spécialisé) - à savoir que le rythme d'ouverture des grandes surfaces est bien supérieur à l'augmentation de la consommation qui est aujourd'hui en berne, ce qui risque à terme de poser un problème de friches commerciales -, il s'agit ici d'en ouvrir davantage.
Que des bienfaits ?
A croire qu'il n'y ait que des bienfaits : pour l'économie ("l'ouverture de nouvelles surfaces commerciales accélérera la réalisation de projets de construction, la réalisation de gains de productivité et la création d'emplois"), pour les finances publiques, avec l'arrivée de nouvelles recettes, en particulier pour les collectivités (plus de Tascom et de TLPE)… Même les jeunes (jobs étudiants) et les handicapés seraient gagnants : "Le concept des magasins de la grande distribution est particulièrement adapté à l'accessibilité pour les personnes handicapées." Joli sophisme pour masquer les désagréments causés par la grande distribution, sur les producteurs pressurés par les marges, le petit commerce moribond dans certaines villes et l'environnement. Mais ce dernier point n'est pas oublié : "L'impact social sera positif dans la mesure où le secteur du commerce est de façon générale fortement créateur d'emplois de tous niveaux. Du point de vue environnemental, les enseignes déjà présentes sur le territoire ont déjà entrepris au cours des dernières années des efforts importants." Bref, une étude d'impact plus que conciliante qui élude tous les aspects négatifs, à la fois sur les emplois détruits dans le petit commerce et le massacre de l'environnement aux abords des villes depuis une cinquantaine d'années.
Travail le dimanche et en soirée
Ce sont les mêmes présupposés qui sous-tendent un autre volet important du projet de loi : le travail le dimanche et en soirée. L'étude d'impact s'appuie sur des sondages pour montrer que "l'attente des consommateurs a évolué". "Les dernières enquêtes montrent que les Français sont favorables à l'ouverture des commerces le dimanche, au niveau national et encore plus en Ile-de-France." Inspiré du rapport de Jean-Paul Bailly de décembre 2013, le projet de loi vise à supprimer les dispositifs existants, sources de confusion (tels que les Puce créés par la loi Mallié de 2009) pour en retenir trois : les zones commerciales, touristiques et les zones touristiques internationales. Une fois la zone délimitée, tout commerce, hors alimentaire, pourra ouvrir le dimanche moyennant l'attribution de contreparties aux salariés et sur la base du volontariat. Il ne sera donc plus nécessaire de faire la demande d'une autorisation individuelle.
La demande de délimitation de ces zones relève de l'initiative du maire ou du président de l'intercommunalité. Elle est transmise au préfet de région et requiert l'avis du conseil municipal, des partenaires sociaux et de l'intercommunalité, des chambres consulaires et, pour les zones touristiques, du comité départemental du tourisme.
Au-delà de ces zones délimitées, le nombre de dimanches du maire passera de 5 à 12. La liste de jours prévus sera fixée par le maire chaque année avant le 31 décembre pour l'année suivante. Enfin, un arrêté conjoint des ministres chargés des transports, du travail et du commerce déterminera les gares dans lesquelles les commerces pourront ouvrir.
Concernant le travail en soirée, jusqu'à minuit, il sera possible en contrepartie d'un doublement de salaire, au minimum, avec un repos compensateur obligatoire. A travers cette libéralisation du travail, le texte, qui mise sur la manne touristique, entend "renforcer l'attractivité de la France et l'animation des centres-ville" et "libérer le commerce". Les grandes enseignes et les grands magasins en seront les premiers bénéficiaires. Mais là encore, l'étude d'impact n'est pas contrebalancée par les destructions d'emplois dans le petit commerce, les reports de chiffre d'affaires sur le week-end au détriment du reste de la semaine ou encore sur l'impact social de telles mesures.
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