Cette fois, un rendez-vous précis est fixé. La carte scolaire va être revisitée et les premières annonces du ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, doivent avoir lieu le 15 mars 2023. Pour de nombreux acteurs de l'éducation, il est plus que temps car les récriminations fusent, les demandes s'empilent, les propositions affluent.
Le Snuipp, syndicat majoritaire dans le premier degré, a publié récemment une infographie tenant à jour le nombre de fermetures de classes dans les écoles primaires par département. "Au 24 février, 4.496 fermetures de classes sont actées dans l’ensemble des départements pour seulement 2.363 ouvertures. Soit un solde négatif de 2.133 classes", précise le syndicat, qui voit dans ces mesures "la fin de la priorité au primaire" et prévoit une rentrée scolaire 2023 "inédite, dans le mauvais sens du terme".
De leur côté, parlementaires et élus locaux montent au créneau (par exemple ici) pour rappeler les conséquences financières des fermetures d'écoles pour les communes concernées : une fois la décision entérinée, il leur reste le plus souvent à rembourser des emprunts liés à la construction, à la maintenance ou à la mise aux normes de l'établissement fermé, puis à assumer, au sein d'un regroupement pédagogique intercommunal (RPI), le coût de la prise en charge de "leurs" élèves, et enfin, car les fermetures d'école entraînent aussi une dispersion des élèves, la prise en charge de ceux dont les parents ont choisi de les inscrire dans une commune en dehors du RPI de secteur. Et cela sans compter, dans les petites communes rurales, les conséquences socioéconomiques à moyen et long terme dues à la fuite des familles. Quant aux fermetures de classes sans fermeture d'école – qui peuvent concerner tous types de communes y compris les plus grandes, à l'image de Paris qui devrait en perdre 187 à la rentrée 2023 –, elles mènent à une hausse du nombre d'élèves dans les classes restantes.
Révision des critères de l'éducation prioritaire
Dans un entretien accordé à France culture le 22 février 2022, Pap Ndiaye est revenu sur ces décisions : "La baisse des effectifs justifie la fermeture des classes. Par ailleurs nous en ouvrons là où c'est nécessaire." Et à la question, posée tant par les représentants des enseignants que des parents d'élèves, de savoir si la baisse démographique pourrait être l'occasion de baisser le nombre d'élèves par classe, alors que la France présente des effectifs par classe supérieurs à la moyenne européenne, le ministre répond que "le nombre d'élèves par classe va baisser, mais dans des proportions variables selon les territoires". À cette équation, il convient d'ajouter un facteur supplémentaire : dans certaines académies, les postes créés ne sont pas tous pourvus.
Au-delà des fermetures de classes ou d'écoles, la question de la carte scolaire embrasse également celle de l'éducation prioritaire. Une question sur la table depuis l'automne 2019 et la parution du rapport Mathiot-Azéma. Et d'autant plus urgente que le ministre de l'Éducation nationale reconnaissait il y a quelques semaines à peine que la "carte" actuelle était établie selon des données datant de 2011 qui ne tenait pas compte de "dix ans d'évolution des quartiers [de la politique de la ville]".
C'est précisément en liaison avec le ministère chargé de la Ville, mais également en partenariat avec les collectivités, que l'Éducation nationale travaille actuellement à une réforme qui, si elle doit être dévoilée le 15 mars 2023, n'aboutira pas avant la rentrée de 2024. Pap Ndiaye a toutefois révélé, sans que cela constitue une surprise, que "des établissements devront ou pourront entrer dans l'éducation prioritaire et d'autres pourront en sortir". Le ministre vise par exemple des "quartiers touchés par la gentrification" dont la présence en réseau d'éducation prioritaire (REP) "est moins légitime qu'il y a quelques années". Mais la réforme ira au-delà d'un simple redécoupage : elle comprendra également la révision de certains critères sur lesquels l'éducation prioritaire se fonde. La publication de l'indice de position sociale des établissements est passée par là (lire notre article du 12 janvier). Voilà pour les grandes lignes.
Des binômes de collèges pour casser les ghettos
Dans le détail, Pap Ndiaye a décliné les "leviers" qui mèneront au but avoué : favoriser la mixité des publics pour élever le niveau, "effacer les inégalités de naissance" ou, en une phrase, réussir la "démocratisation" de l'école après en avoir achevé la "massification".
Le premier de ces leviers sera la sectorisation. Le ministre entend créer des binômes de collèges proches géographiquement mais éloignés socialement en rapprochant leurs populations scolaires. Deux cents binômes ont été identifiés sur tout le territoire, qui pourraient faire l'objet d'un tel rapprochement sur le modèle d'une expérimentation menée à Paris (lire notre article du 21 février 2021). Autre levier : la création de sections d'excellence dans des "établissements défavorisés" afin de retenir des élèves qui "autrement s'en iraient".
Pap Ndiaye confirme également sa volonté d'"inclure l'enseignement privé sous contrat à l'effort en faveur de la mixité scolaire". Des échanges sont en cours sur ce point pour parvenir à un protocole d'accord visant à augmenter la proportion de boursiers dans ces établissements, également en concertation avec les collectivités. Mais ici, alors que l'Enseignement catholique a récemment rappelé son attachement à la liberté de recrutement des élèves (lire notre article du 23 janvier), Pap Ndiaye marche sur des œufs et affirme qu'il n'a "pas l'intention de réveiller la guerre scolaire".
Une PPL pour l'autonomie de recrutement des élèves
C'est dans ce contexte que Max Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, vient de déposer une proposition de loi (PPL) "pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité". S'il balaie large – revenant sur la question de l'uniforme et du port de signes religieux ainsi que sur l'autorité des directeurs d'école –, ce texte s'attaque en priorité à la "verticalité" de l'Éducation nationale et voit l'autonomie "comme l'antidote aux maux de l'école". À ce titre, la PPL recèle différentes mesures touchant à la carte scolaire.
Son article premier imagine – sur la base d'une expérimentation d'une durée de cinq ans – un nouveau modèle d'organisation des écoles publiques. Celles-ci auraient la possibilité, avec les collectivités territoriales volontaires et les recteurs, de passer un contrat portant notamment sur l'organisation pédagogique et les dispositifs d'accompagnement des élèves, l'affectation des personnels, l'allocation et l'utilisation de moyens budgétaires et enfin le recrutement des élèves. Autrement dit, la carte scolaire disparaît pour faire place à "des objectifs pluriannuels en matière de réussite et de mixité scolaires".
La PPL prévoit également que les communes faisant partie d'une zone de revitalisation rurale bénéficient des dispositifs REP ou REP+. En outre, dans les communes rurales n'appartenant pas à une unité urbaine ou situées dans une aire urbaine de moins de 5.000 habitants, le conseil municipal pourrait donner son avis lorsqu'il est envisagé de fermer une classe. En cas de vote défavorable de sa part, un moratoire pour l'année suivante serait prononcé.
Cette proposition doit être débattue en avril au Sénat où une majorité lui sera sans doute acquise. Son sort paraît plus incertain à l'Assemblée nationale. Néanmoins, la mise en avant de l'autonomie des écoles, thème cher au président de la République, ainsi que la nécessité d'asseoir une telle autonomie sur une base législative solide, pourraient jouer en sa faveur.
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