Le 29 mars, les treize départements à majorité socialiste (*) prêts à participer à la démarche étaient réunis à la Fondation Jean-Jaurès à Paris, afin d'"approfondir la réflexion sur leur volonté d'expérimenter le revenu de base sur leurs territoires". Le projet remonte à mai 2016, à l'initiative conjointe de Jean-Luc Gleyze, le président du conseil départemental de la Gironde - pour qui "le RSA n'est plus aujourd'hui la réponse" -, et de Gilles Finchelstein, le président de la Fondation Jean-Jaurès. Ils ont ensuite été rejoints par douze autres départements et ont bénéficié de l'appui de l'Institut des politiques publiques (IPP) et de celui d'économistes comme Daniel Cohen, également président du conseil d'orientation scientifique de la Fondation.
Une démarche engagée depuis deux ans
La conférence de presse tenue à l'issue de la réunion a permis de dresser un état des lieux de la démarche et de ses perspectives. Côté réalisations, les travaux ont déjà permis de définir les conditions scientifiques, opérationnelles et juridiques de l'expérimentation. Par ailleurs, une "participation citoyenne" a mobilisé environ 120 personnes sous la forme de groupes de travail composés d'acteurs de terrain, tandis qu'un jury citoyen adoptait, en février 2017, un avis, au titre sibyllin, "Un même vêtement d'égalité pour toutes et pour tous".
La Gironde a également mis en ligne "un outil évolutif sur les modèles de financement du revenu de base", doublé d'un simulateur, qui a donné lieu à plus de 30.000 utilisations et 4.000 propositions. Enfin, une journée d'étude a été organisée en avril 2017, intitulée "Le revenu universel, entre utopie et pratique".
Monavissurlerevenudebase.fr
Pour l'avenir, Jean-Luc Gleyze a d'abord présenté le site "Mon avis sur le revenu de base", lancé le jour même et qui doit permettre à chaque citoyen de comprendre les enjeux et de s'exprimer à travers une série de questions. Celles-ci portent sur différents aspects du revenu de base, comme les allocations à fusionner, les publics à cibler (avec en particulier la question des moins de 25 ans), le montant du revenu de base, la dégressivité...
De leur côté, les départements engagés dans la démarche ont déjà défini trois variables avec plusieurs hypothèses. Ces variables portent sur le champ du revenu de base (RSA, ASS et prime d'activité, ou les mêmes avec l'APL en plus), l'âge minimal de perception (à partir de 18 ans, de 21 ans ou de 25 ans) et la nature des revenus pris en compte (revenus d'activité seuls ou revenus d'activité et revenus du capital).
La combinaison de ces variables et de ces hypothèses donne un ensemble de 18 scénarios possibles, que l'IPP va se charger d'expertiser et de chiffrer, afin de permettre ensuite au comité de pilotage de retenir un scénario - ou éventuellement deux scénarios - qui feront l'objet de l'expérimentation. Car même s'il existe déjà des expériences étrangères plus ou moins proches du projet, Daniel Cohen estime qu'"on a absolument besoin de l'expérimentation pour entraîner l'adhésion et montrer que ce n'est pas 'une incitation à la paresse'".
Une réaffirmation des compétences des départements
A ce stade, il existe déjà un certain nombre de certitudes, mais aussi plusieurs éléments qui demeurent assez flous. Côté certitudes, le fait qu'il n'est plus possible de se contenter du RSA. Pour Mathieu Klein, le président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, il est clair que "le RSA est une allocation stigmatisante", ce qui explique le taux de non recours de l'ordre de 30%. De même, l'expérimentation du revenu de base sera un bon moyen de réaffirmer la compétence du département. Ainsi, pour Alain Lassus, le président du conseil départemental de la Nièvre, "la solidarité est la compétence essentielle des départements. On est donc les mieux placés pour juger de l'inefficacité du RSA".
Maintenir un lien fort avec la "valeur travail"
De même, il est admis que le revenu de base sera ouvert aux jeunes, même si l'âge n'est pas encore arrêté. Pour Mathieu Klein, "où qu'on place le curseur, on ne peut pas rester dans la zone grise pour les jeunes". Le revenu de base devrait également être ouvert à des professions comme les agriculteurs, les indépendants ou les créateurs d'entreprise.
Autre certitude : les départements engagés dans la démarche écartent fermement l'idée du revenu universel, pourtant portée par le candidat socialiste à la dernière présidentielle. Le revenu de base sera inconditionnel, mais il restera réservé aux personnes vivant sous le seuil de pauvreté.
Enfin, tous les intervenants tiennent à établir un lien fort entre le revenu de base et la "valeur travail". Pas question en effet de s'exposer aux critiques récurrentes sur les effets désincitatifs et sur les "trappes à chômage". Pour Daniel Cohen, "le but est de permettre aux personnes en situation de précarité de rester dans le monde du travail".
Des incertitudes demeurent
Malgré ces précisions, il reste encore plusieurs incertitudes, en dehors de celles qui tiennent à l'état d'avancement de la démarche (pas question par exemple d'annoncer aujourd'hui un montant, si ce n'est que celui-ci sera "au moins égal aux montants actuels").
Il règne ainsi un certain flou sur les échanges avec le gouvernement. La démarche a en effet été lancée sous les gouvernements de Manuel Valls et de Bernard Cazeneuve, mais elle aura besoin du soutien de l'actuel exécutif et de sa majorité pour faire passer la loi d'expérimentation. Les promoteurs du projet comptent en tout cas sur la promesse du président de la République, faite dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, d'assouplir les modalités de l'expérimentation par les collectivités territoriales.
Flou également : l'impact qu'auraient un revenu de base élargi - intégrant le RSA actuel - et une diminution du taux de non recours sur les finances des départements. Plus largement, la question du financement d'une telle réforme reste encore dans l'ombre.
Enfin, il reste à déterminer comment cette démarche pourrait s'articuler avec la préparation, par le gouvernement, d'une "stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté des jeunes et des enfants" (voir nos articles ci-dessous du 16 mars 2018).
Vers une expérimentation au premier semestre 2019 ?
En attendant de lever ces incertitudes, les treize départements volontaires pour l'expérimentation ont déjà établi un calendrier prévisionnel. Une journée d'étude à Bordeaux, le 7 juin prochain, permettra de restituer les résultats de la consultation en ligne, ceux de l'expertise des différents scénarios menée par l'IPP et d'arrêter le scénario - ou les deux scénarios - qui pourraient faire l'objet de l'expérimentation.
A partir de la rentrée 2018, les promoteurs du revenu de base prévoient de déposer au Parlement une proposition de loi d'expérimentation. L'expérimentation proprement dite pourrait alors débuter sur le terrain au premier semestre 2019.
(*) Ardèche, Aude, Ariège, Dordogne, Gers, Gironde, Haute-Garonne, Ille-et-Vilaine, Landes, Lot-et-Garonne, Meurthe-et-Moselle, Nièvre et Seine-Saint-Denis.
ncG1vNJzZmivp6x7o63NqqyenJWowaa%2B0aKrqKGimsBvstFoqZ6ulaPCbrDEZpmaq5ViuabEz56poqWVo8GiwMiopWarlWK9s7HCoqqeZaWjerGx1A%3D%3D