Les instances européennes n'auront, une fois encore, pas su saisir l'occasion de la crise du Covid-19 pour prendre la tête des opérations, intervenant seulement dans l'urgence, à la remorque de ses États membres.
"Finalement, aujourd’hui, l’Union européenne agit. On n’en doutait pas. […] À partir d’aujourd’hui, le mot d’ordre en Europe est solidarité", s'est félicité vendredi le président du Parlement européen, David Sassoli, à l'annonce des mesures projetées par la Commission européenne pour lutter contre les effets du Covid-19 (principalement la réallocation de 37 milliards d'euros de fonds de la politique de cohésion à la lutte contre le coronavirus - voir l'encadré de notre article). Si l'intervention se voulait positive, elle acte au contraire l'incapacité des instances européennes à intervenir en amont des problèmes. Les "finalement aujourd'hui" et "à partir d'aujourd'hui" résonnent à cet égard d'une manière particulièrement forte.
La tentation du repli sur soi : fermeture des frontières et mise à mal du marché unique
Pis encore, le président Sassoli souligne dans son communiqué que "la situation est tellement grave qu'aucun gouvernement européen ne pouvait envisager pouvoir s'en sortir seul". Or, c'est pourtant ce qu'ils ont fait ; et qu'ils continuent de faire... En témoigne, par exemple, la question de la fermeture des frontières intra-européennes, que le Conseil de l'Union n'aura pas su gérer. Et dont les annonces se multiplient, en dépit des avertissements de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui dénonce en vain le "fort impact économique et social" de ces interdictions générales de déplacements, "qui en coinçant aux frontières des milliers de conducteurs de bus et de camions bloquent les chaînes de production et créent de nouveaux risques sanitaires" alors "qu'elles ne sont pas considérées par l'Organisation mondiale de la santé comme faisant partie des mesures les plus efficaces". Le président Macron ne semble pas plus entendu. Il a eu beau insister, dans son intervention du 12 mars, sur la nécessité de prendre de telles mesures "en Européens, à l'échelle européenne", force est de constater qu'il n'en est rien. Ainsi, placé devant le fait accompli, le gouvernement français a tout juste eu le temps d'essayer de se raccrocher aux branches en communiquant sur le fait que "la mise en œuvre concrète" du rétablissement par l'Allemagne "des contrôles à ses frontières avec plusieurs pays limitrophes […] fera l'objet d'une concertation étroite entre les autorités françaises et allemandes" (v. encadré). À défaut des frontières, fermez le ban !
Autre exemple, les interdictions nationales de vente à d'autres États membres de matériels médicaux, là-encore dénoncées par une Ursula von der Leyen qui multiplie les avertissements – relayés par David Sassoli – dans ce qui ressemble de plus en plus à un désert : "Il n'est pas bon que les États membres prennent des actions unilatérales, qui entraînent toujours un effet domino qui empêche les équipements médicaux urgents d'atteindre les patients et hôpitaux qui en ont besoin […]. Le marché unique doit fonctionner." "Aucun pays ne peut produire seul tout ce dont il a besoin"...
Côté Commission, le caractère tardif de ses interventions n'est pas le seul à être déploré. La commission des budgets du Parlement européen juge ainsi que les mesures proposées "ne sont pas suffisantes car elles proposent seulement de réutiliser des fonds déjà disponibles pour les États membres à d'autres fins". Elle invite la Commission "à proposer de mobiliser également de nouveaux fonds, qui sont disponibles dans le budget 2020 par le biais de marges et d'instruments de flexibilité". La critique est d'autant plus audible que la Commission justifie son projet de réallocation des fonds par le fait que l'épidémie "entrave la croissance, ce qui aggrave à son tour les graves pénuries de liquidités dues à l'augmentation soudaine et importante des investissements publics nécessaires dans les systèmes de santé et dans d'autres secteurs de leurs économies". Or déshabiller Pierre pour habiller Paul ne saurait constituer un plan Marshall, si tel est bien l'objectif poursuivi. Ce qu'accrédite l'ensemble des actions conduites pour le coup à tous les échelons… quand c'est possible.
Politique budgétaire : les digues grandes ouvertes, l'eau vient à manquer
En France, on a beaucoup glosé sur le "quoi qu'il en coûte" présidentiel, dans son allocation de jeudi. Déclarant sa flamme à l'État-Providence, Emmanuel Macron a appelé à la fois le gouvernement français et l'ensemble des gouvernements européens à un "plan de relance national et européen", mais aussi les G7, G20 et la Banque centrale européenne, dénonçant à mots couverts les récentes décisions insuffisantes de cette dernière (v. infra).
La Commission semble sur la même longueur d'onde, elle qui a proposé "d'appliquer toute la flexibilité prévue dans le cadre budgétaire de l'UE" et se dit déjà prête à proposer au Conseil d'activer la clause de dérogation générale, qui suspendrait l'ajustement budgétaire recommandé par le Conseil "en cas de grave ralentissement économique dans la zone euro ou dans l'UE dans son ensemble", désormais certain. La Commission recommandera en outre "d'ajuster les efforts budgétaires requis des États membres en cas de croissance négative ou de forte baisse d'activité". Bref, la règle des 3% a, temporairement du moins, vécu.
Chez les banques centrales, l'heure est plus que jamais au "Quantitative easing". Dit autrement, la planche à billets tourne à plein régime. Outre-Atlantique, la FED vient ainsi d'abaisser – un dimanche ! – d'un point son taux directeur, couplé à des rachats massifs d'actifs, pour le plus grand plaisir du président Trump. Et la présidente de la BCE Christine Lagarde a déclaré jeudi dernier qu'une "une réponse budgétaire rapide, ambitieuse et coordonnée était indispensable pour soutenir les entreprises et les travailleurs". Mais contrairement à son homologue américaine, et aux attentes du président français, la BCE n'a, elle, pas baissé ses taux. Faute, sans doute, de marge de manœuvre… Qu'on le veuille ou non, la politique du "quoi qu'il en coûte" a ses limites et le déficit n'est pas sans pleurs. La BCE ayant laissé ouvert le robinet à cash depuis plusieurs années pour soutenir artificiellement la croissance (suites du fameux "whatever it takes" du prédécesseur de Christine Lagarde, Mario Draghi), les réserves sont désormais à sec. Après avoir chanté au temps chaud, la cigale va désormais devoir danser… sur un volcan.
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