Le Conseil d'Etat a présenté le 4 juin 2010 un rapport public consacré à "L'eau et son droit". La Haute Juridiction s'attache ainsi à un sujet qui intéresse au premier plan les collectivités territoriales comme le rappelle l'actualité (reprise en régie de la gestion des eaux à Paris et dans quelques grandes villes, pollution par les nitrates et développement des algues vertes en Bretagne, tempête Xynthia et inondations en Charente-Maritime...), les projets de réforme en cours touchant au domaine de l'eau (réforme des collectivités territoriales et simplification de l'intercommunalité, vote de la loi Grenelle 2, plans d'accompagnement du Grenelle 1, proposition de loi Cambon au Sénat sur la tarification sociale de l'eau, ouverture prochaine des concessions hydroélectriques à la concurrence...) ou l'agenda international (6e Forum mondial de l'eau à Marseille en 2012, reconquête du bon état des eaux fixée par l'Union européenne à l'horizon 2015).
Présenté comme un document de référence qui englobe pour la première fois tous les aspects du droit de l'eau (problèmes de quantité, de qualité et de risque), le rapport du Conseil d'Etat comporte, à l'appui des problématiques soulevées au fil de 245 pages, de nombreuses données chiffrées, les textes applicables, l'état de la jurisprudence ainsi qu'une description des organisations et des moyens utilisés dans l'application de ce droit. Le rapport est par ailleurs enrichi de nombreuses annexes et de diverses contributions portant sur les aspects internationaux et nationaux de la gestion de l'eau. Il aborde plusieurs débats nationaux très sensibles sur l'application du principe pollueur-payeur, le rôle et les responsabilités des collectivités territoriales, les limites inhérentes en la matière du droit de propriété, l'articulation future entre tous les documents d'aménagement relatifs à l'eau (Sdage, Sage, Scot, PPRN, documents d'urbanisme, schémas de cohérence écologiques, schémas agricoles, trames bleue et verte...) ou encore le modèle de développement agricole et formule de très nombreuses recommandations et pistes de solution.
Les considérations générales exposées dans le rapport invitent l'Etat à ne pas se désengager, notamment au regard des nouvelles questions qui lui seront rapidement posées avec le réchauffement climatique. "Tout en laissant la gestion du petit cycle de l'eau aux collectivités territoriales qui s'en acquittent plutôt bien, il lui revient de se saisir de la gestion de son grand cycle et de l'organiser", souligne Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat dans son éditorial.

Montée en puissance de l'intercommunalité

La première partie du rapport établit  un panorama des utilisations de la ressource en eau et dresse un état des lieux des différentes sources du droit applicables (au sein desquelles le droit communautaire est en constante expansion), de l'organisation, de la gestion, du financement et de la gouvernance de l'eau, caractérisée par la surabondance des textes et des organismes chargés de la gestion de l'eau. Sont en particulier abordés le rôle accru des collectivités territoriales (au premier chef celui des communes en matière de distribution d'eau potable et d'assainissement), la montée en puissance de l'intercommunalité avec des régimes dissemblables et l'enchevêtrement des compétences qui en résulte. Le rapport attire l'attention sur l'insuffisant renouvellement des infrastructures, spécialement dans le domaine de l'assainissement. Des efforts sont également à faire s'agissant du taux de perte des réseaux d'alimentation en eau potable et des normes techniques de dimensionnement des réseaux de collecte des eaux pluviales ou d'assainissement.
Le rapport identifie par ailleurs les causes d'augmentation du prix de l'eau, encourage à l'adoption d'une tarification sociale de l'eau, à la réversibilité entre les modes de gestion et invite gouvernement et Parlement à éliminer les différences injustifiées de législation de manière à ménager un choix libre et éclairé par les collectivités territoriales entre gestion en régie et gestion déléguée. Toutefois, pour le Conseil d'Etat le prix de l'eau ou la place respective de la régie et de la gestion déléguée constituent de "faux débats" qui ne doivent pas occulter les vrais problèmes (impact du réchauffement climatique, réforme de la politique agricole commune...). Sont ainsi recensées les nouvelles préoccupations internationales et leurs incidences sur le modèle français de gestion intégrée de l'eau par bassin versant (nouveaux polluants, lutte contre le gaspillage, risques accrus de sécheresse et d'inondations, continuité écologique et préservation de la biodiversité...).

Responsabiliser les collectivités dans l'application du droit communautaire

La seconde partie est précisément consacrée aux réponses à apporter à ces nouvelles préoccupations concernant la quantité d'eau disponible (utilisations des eaux pluviales, recyclage des eaux usées, compteurs individuels…), sa qualité (normes techniques, études d'impact, redevances incitatives, protection des captages), l'organisation et le financement de l'eau, le traitement de problèmes majeurs posés par quatre secteurs (agriculture, ville, énergie, transport fluvial), l'application et la simplification du droit et l'implication de la France dans les négociations internationales portant sur l'eau. En matière d'inondation, le rapport prescrit notamment l'élaboration de plans de prévention des risques en vue de couvrir toutes les zones vulnérables et d'une "doctrine claire et partagée entre Etat et collectivités territoriales quant à l'ampleur et aux limites de l'urbanisation en zone inondable". Des pistes de travail sont également envisagées pour que les communes puissent sortir des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du service public d'assainissement non collectif. D'une façon générale, le rapport pointe du doigt la complexité et l'instabilité du droit national et la "balkanisation" de la gestion, de l'organisation, du droit pénal de l'eau et de la police de l'eau comme source potentielle de difficultés dans l'accomplissement des obligations communautaires, en particulier celles fixées par la directive cadre sur l'eau à l'horizon 2015. Il insiste en outre sur la nécessité de responsabiliser davantage les collectivités territoriales dans l'application du droit communautaire, en ouvrant à l'Etat la faculté de se retourner contre les collectivités à l'origine des condamnations prononcées par la Cour de justice de l'Union européenne.

Philie Marcangelo-Leos / Victoires-Editions


 

ncG1vNJzZmivp6x7o63NqqyenJWowaa%2B0aKrqKGimsBvstForKdlopa9sbvRrWSdrV2YvK%2B%2FxKKjZpyVqa61ec%2BaqqydXZq7br7Er6yeZaSkwrR5y56qZpmjpbKkwNJmm65llKe8qsCMnZxmpJWWwg%3D%3D